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Une agriculture à bout de souffle : vers une refondation du modèle productiviste au Maroc ?


Rédigé par La rédaction le Samedi 21 Juin 2025



Une campagne sinistrée : Des cultures résilientes mais sous pression

Une agriculture à bout de souffle : vers une refondation du modèle productiviste au Maroc ?
Six années de sécheresse consécutives, des précipitations erratiques, une canicule persistante, des rendements céréaliers en chute libre : la campagne agricole 2023-2024 marque un tournant pour l’agriculture marocaine. Au-delà de la conjoncture climatique, c’est le modèle productiviste hérité des décennies passées qui semble atteindre ses limites. Faut-il repenser notre manière de produire, de consommer, et de valoriser les territoires agricoles ?

La campagne agricole 2023-2024 est la plus sèche depuis 1960. Le cumul pluviométrique national a chuté de près de 47 %, et l’absence de neige a aggravé le stress hydrique. Les semis ont démarré tard, les jeunes pousses ont souffert de températures élevées, et la fenêtre de croissance a été fortement réduite. Résultat : une baisse de 43 % de la production céréalière, avec seulement 31,2 millions de quintaux récoltés. Trois régions concentrent 84 % de cette production : Fès-Meknès, Rabat-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima.

Cette baisse n’est pas qu’une statistique : elle touche directement les revenus des petits agriculteurs, fragilise les coopératives, augmente les importations, et pèse sur le pouvoir d’achat des consommateurs. L’agriculture pluviale, qui concerne encore près de 70 % des surfaces cultivées, est en première ligne.

Malgré ce contexte dégradé, certaines filières ont mieux résisté. Les cultures arboricoles (olivier, amandier, agrumes) et maraîchères (tomate, oignon, pastèque) ont bénéficié de pluies tardives en février et d’une maîtrise technique accrue de l’irrigation localisée. Mais cette résilience reste fragile : coût de l’eau, accès inégal aux technologies, surpression des nappes, dépendance aux intrants importés.

Le cheptel aussi souffre : moins de fourrage disponible, prix de l’orge en hausse, mortalité accrue des jeunes bêtes. De nombreux éleveurs délaissent les activités pastorales pour migrer vers les villes ou se reconvertir dans des emplois précaires.

L’agriculture marocaine a longtemps été pensée comme un moteur de croissance, à travers des plans successifs (Plan Maroc Vert, Stratégie Génération Green) misant sur la modernisation, l’investissement, et la conquête de marchés à l’export. Mais ces objectifs se heurtent aujourd’hui à la réalité climatique : variabilité des saisons, instabilité des ressources, vulnérabilité économique des exploitations.

Le modèle productiviste, basé sur la monoculture, l’irrigation intensive et la compétition mondiale, montre ses limites dans un contexte de rareté hydrique et de changement climatique. Il creuse les inégalités entre territoires irrigués et pluviaux, entre grandes exploitations et petits paysans.

Vers une agriculture de la résilience ?
Face à ce constat, une nouvelle voie s’impose : celle d’une agriculture adaptée, résiliente, ancrée dans les terroirs et attentive aux équilibres écologiques. Cela implique :
 
  • Une diversification des cultures et des revenus agricoles,
  • Une réduction de la dépendance aux importations d’intrants,
  • Une valorisation des savoirs paysans et des semences locales,
  • Un soutien accru à l’agriculture familiale et agroécologique,
  • Une gouvernance territoriale de l’eau, plus inclusive et plus régionale.
L’agriculture de demain ne sera pas moins productive, mais autrement productive : à la fois sobre en ressources, plus répartie socialement, et mieux insérée dans les dynamiques locales.

La crise agricole de 2024 n’est pas une parenthèse, mais un signal. Un signal que le Maroc doit entendre pour refonder son modèle agricole autour de la durabilité, de l’équité et de la souveraineté alimentaire. Les choix faits aujourd’hui façonneront l’avenir rural de demain. L’heure n’est plus à l’ajustement, mais à la transformation.




Samedi 21 Juin 2025