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Une femme, un combat, un héritage : Halima Ouarzazi


Rédigé par le Mardi 20 Mai 2025

Alors que le Maroc assure, depuis janvier 2024, la présidence de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies et s’efforce de promouvoir notamment la place des femmes en diplomatie, le pays a perdu, le 14 mai 2025, une figure emblématique : Halima Embarek Ouarzazi, première femme ambassadrice du Royaume. Pionnière dans son domaine, elle a tracé la voie pour de nombreuses générations de diplomates marocains et africains.



Halima Embarek Ouarzazi : une pionnière diplomatique, une mémoire nationale silencieuse

Une femme, un combat, un héritage : Halima Ouarzazi

Les hommages rendus à Halima Embarek Ouarzazi par ses pairs ont été empreints d’une chaleur sincère et d’une reconnaissance vibrante. Parmi eux, on retient notamment celui organisé le 29 mai 2009 à Rabat par le Conseil consultatif des droits de l’Homme – instance dont elle fut membre suite à sa nomination par Sa Majesté le Roi en 2002 – ou encore celui, plus récent, de l’ambassadeur Omar Zniber à Genève, le 24 juin 2024, à l’occasion de la Journée internationale des femmes en diplomatie.

Cependant, ces marques d’estime – aussi méritées soient-elles – suffisent-elles à combler le silence assourdissant d'une nation entière face à la disparition d’une femme qui fut bien plus qu’une ambassadrice ? Halima Ouarzazi n’était pas seulement une figure de la diplomatie marocaine : elle en était l’âme féminine, la voix passionnée des droits humains, et une source d’inspiration pour plusieurs générations de diplomates, aussi bien marocains qu’africains.

C’est donc avec émotion et admiration que je souhaite, à mon tour, saluer sa mémoire. Car Halima a représenté bien plus qu’un parcours professionnel remarquable : elle incarne ce que signifie être femme, marocaine et engagée dans un monde longtemps réservé aux hommes. Son histoire, ses combats et sa personnalité ont marqué durablement celles et ceux qui ont croisé sa route, et surtout nous, femmes marocaines, qui avons vu en elle un modèle de détermination, d’élégance et de patriotisme.


Une trajectoire hors norme

Née en 1933, Halima Embarek Ouarzazi – alors Halima Embarek Jdidi – a grandi à Casablanca après le divorce de ses parents, aux côtés de sa mère française et d’une grand-mère artiste qui influencera profondément sa sensibilité.

Adolescente, elle rejoint son père à Madrid, où elle apprend l’espagnol, avant de poursuivre sa formation au Caire, ville où elle s’imprègne de la culture arabe et décroche, en 1957, une licence en lettres.

De retour au Maroc, elle entre au ministère des Affaires étrangères. Sa carrière prend un tournant décisif lorsqu’elle survit à un accident de voiture qui coûte la vie à son fiancé, Abderrahmane Anegaye, alors directeur du Cabinet Royal. Reçue par Feu S.M. Mohammed V, elle exprime le souhait de servir à l’étranger. Ce sera Washington, entre 1959 et 1961, en tant qu’attachée culturelle.

Elle y rencontre celui qui deviendra son époux, Mohammed Ouarzazi, et y découvre les rouages de la diplomatie bilatérale.

Très vite, elle intègre la Délégation marocaine à l’Assemblée générale de l’ONU, où elle se forme à la diplomatie multilatérale, avec ses subtilités et ses tensions.

En 1966, elle est élue présidente de la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies, lors d’une session historique qui voit l’adoption des deux grands Pactes relatifs aux droits de l’Homme.


Une carrière forgée par l’expertise et la ténacité

Halima ne cessera dès lors de gravir les échelons. Elle se spécialise dans les droits humains, les questions sociales, la lutte contre le racisme, la protection des minorités, et la condition féminine. Elle devient une figure incontournable des grands sommets internationaux, alternant les rôles de rapporteuse, d’experte et de présidente de commission.

En 1993, elle est nommée ambassadrice à l’administration centrale. La même année, elle est rapporteuse officielle de la Conférence mondiale sur les droits humains à Vienne, qui donnera naissance à la Déclaration et au Programme d’action de Vienne.

Même après son départ à la retraite, le jour de ses 65 ans, les Nations unies continueront à faire appel à elle en tant qu’experte chevronnée, que ce soit à New York ou à Genève.


Patriotisme, élégance et charisme

Quel était le secret de cette réussite, dans un univers aussi complexe et stratégique ? Halima Ouarzazi conjuguait un sens profond du patriotisme à une rigueur professionnelle exceptionnelle. Avocate ardente de la souveraineté marocaine, notamment sur le Sahara, elle défendait ses dossiers avec une maîtrise redoutable.

Mais elle le faisait avec humanité, en s'appuyant sur un sens de l’écoute rare, une générosité sincère et une présence constante. Elle savait créer du lien, là où tant se contentaient de négocier.

Sa silhouette, toujours parée de tenues traditionnelles marocaines – djellabas et caftans soigneusement choisis – faisait d’elle une ambassadrice culturelle autant que diplomatique.

Son rire communicatif, ses prises de parole franches et son hospitalité légendaire faisaient d’elle une figure lumineuse des couloirs onusiens. Elle incarnait un Maroc fier de ses racines, tourné vers le monde, mais fidèle à ses valeurs.

Un article du Miami Herald de décembre 1964 l’avait même saluée comme l’une des femmes les plus remarquées aux Nations unies, aux côtés de Jackie Kennedy.

Halima plaisantait : «Vous ne m’auriez pas regardée, s’il n’y avait pas eu cette robe». Mais derrière l’humour, une vérité : elle savait que la visibilité est aussi un levier diplomatique, surtout pour une femme dans un monde d’hommes.


Une voix pour l’Afrique et pour les causes justes

Halima Ouarzazi n’a jamais limité son combat aux intérêts du Maroc. Elle s’est mobilisée, corps et âme, pour des causes africaines et universelles. En 1981, elle mène campagne pour soutenir la candidature du juge sénégalais Keba Mbaye à la Cour internationale de Justice. Il sera élu, puis nommé vice-président de la Cour. Elle avait compris, bien avant d’autres, que l’avenir du droit passait aussi par les Suds.

À travers ses éclats de rire, ses robes éclatantes et ses interventions passionnées, Halima a su imposer une diplomatie humaine, incarnée, éthique. Elle était pour les Arabes leur «oukht», leur sœur ; pour l’Afrique, un repère ; pour l’Amérique latine, une «amiga» fidèle. Pour tous, elle est restée ce prénom simple et lumineux : Halima.

Halima, tu as marqué notre histoire de femme et de diplomate. Tu mérites aujourd’hui plus qu’un hommage confidentiel : une reconnaissance nationale à la hauteur de ton parcours.
Allah yarhamk.


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Salma Labtar
Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC. Dompteuse de mots, je jongle avec... En savoir plus sur cet auteur
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