Alors que 2024 s’achève sous le signe de la chaleur extrême, un autre fléau silencieux mais tout aussi destructeur s’installe durablement : la sécheresse. Avec un déficit pluviométrique moyen de 46,6 %, l’année agricole et hydrologique 2023-2024 est la plus sèche depuis les années 1960.
Le Royaume entre dans sa sixième année consécutive de sécheresse, faisant craindre une crise structurelle de l’eau aux conséquences multiples : agriculture sinistrée, barrages vides, tensions sociales et défis pour la souveraineté alimentaire.
Un constat alarmant Le rapport 2024 de la Direction Générale de la Météorologie est sans appel : le cumul pluviométrique national s’est établi à seulement 106,4 mm, bien loin de la moyenne de 1991-2020. Toutes les régions sont touchées, à l’exception du bassin du Loukkos. Dans le sud du pays, les bassins de la Sakia El Hamra, du Souss-Massa ou de Drâa-Oued Noun affichent des déficits supérieurs à 70 %, illustrant une aridification de plus en plus marquée.
Dans le nord et le centre, même les zones historiquement fertiles comme le Gharb ou l’Oum Er-Rbia connaissent une chute alarmante de leurs apports hydriques. Le taux de remplissage des barrages reste limité à 31 %, entraînant des restrictions sévères d’irrigation dans la plupart des périmètres agricoles.
Des répercussions agricoles majeures Le secteur agricole est le premier touché. Les semis ont été retardés faute de précipitations automnales, compromettant les récoltes. La superficie semée en céréales a chuté de 33 %, et la production prévisionnelle est en baisse de 43 % par rapport à 2022-2023. Les zones pluviales, dépendantes des apports naturels, souffrent particulièrement. Les régions de Casablanca-Settat, l’Oriental ou encore les plateaux centraux enregistrent des pertes considérables.
Si certaines cultures arboricoles et maraîchères ont mieux résisté grâce aux pluies tardives de février et à un usage rationnel de l’eau, la situation reste précaire. Le cheptel est lui aussi affecté : manque de pâturages, hausse du coût de l’alimentation animale, fragilité des petits éleveurs.
Le déficit d’enneigement aggrave la situation Autre facteur aggravant : l’absence quasi-totale de neige en 2024. Les apports en eau issus de la fonte nivale, vitaux pour les réserves souterraines et le débit des oueds, sont en chute libre. Le cumul de cette carence avec des températures élevées et une évapotranspiration record (+16,6 % par rapport à la normale) accentue la pression sur les ressources.
Une crise structurelle de l’eau ? La récurrence et la généralisation des sécheresses ne relèvent plus d’une exception climatique, mais bien d’une nouvelle norme. Le Maroc fait face à une crise structurelle de l’eau, appelant une transformation en profondeur de sa gestion hydrique. Le dessalement, la réutilisation des eaux usées traitées, la sobriété dans les usages agricoles et domestiques doivent devenir priorités stratégiques.
Les grands barrages, longtemps considérés comme solution miracle, ne suffisent plus. La baisse des nappes phréatiques, les tensions intersectorielles et les inégalités territoriales d’accès à l’eau posent des questions de justice climatique et de gouvernance.
Cette situation appelle un "pacte hydrique national" fondé sur la planification, la transparence, et la participation des usagers. Il s’agit de réconcilier production agricole et durabilité, droit d’accès à l’eau et efficacité économique. La mobilisation de l’expertise locale, des technologies innovantes et des solutions naturelles (recharge artificielle des nappes, réhabilitation des khettaras, reforestation) est essentielle.
Le Maroc n’a plus le luxe d’attendre. La sécheresse de 2024 est un avertissement majeur : sans changement de paradigme, le stress hydrique deviendra un facteur de crise économique, sociale et environnementale systémique. L’adaptation au nouveau régime climatique passe par une gestion sobre, équitable et anticipatrice de l’eau, bien commun vital pour l’avenir du pays.