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Vers un Iceberg Index Maroc


Anticiper l’impact de l’IA sur l’emploi pour ne plus avancer à l’aveugle.

Par Dr Az-Eddine Bennani

Une question centrale désormais incontournable.

L’article d’Adnane Benchekroune pose un problème décisif : malgré l’intensité du débat mondial sur l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur l’emploi, le Maroc ne dispose toujours pas d’un outil national capable de mesurer clairement l’exposition réelle de ses métiers à l’automatisation.

La question est simple : pourquoi nos institutions de l’emploi, de la formation, des statistiques et du numérique n’ont-elles toujours pas développé un “Iceberg Index Maroc”, alors que d’autres pays simulent déjà leur avenir pour éviter de le subir ?

Cette interrogation conditionne notre économie, notre souveraineté numérique et notre cohésion sociale.



Ce que révèle l’Iceberg Index du MIT : une révolution méthodologique

Vers un Iceberg Index Maroc
Une étude majeure du MIT et du Oak Ridge National Laboratory démontre que l’impact potentiel de l’IA sur les métiers est largement sous-estimé.

L’IA pourrait déjà automatiser 11,7 % des emplois américains, soit 1 200 milliards de dollars de salaires. L’étude analyse 923 métiers et plus de 32 000 micro-tâches. L’exposition visible n’est que de 2,2 %, mais l’exposition réelle est cinq fois plus élevée.

Les métiers les plus exposés sont l’administratif, la finance, les ressources humaines, les services professionnels, le back-office et le support client : exactement les secteurs où le Maroc est fortement positionné.

Aux États-Unis, plusieurs États utilisent déjà l’Iceberg Index dans leurs stratégies publiques : Tennessee, Utah, Caroline du Nord. Ils ne se contentent pas d’observer : ils anticipent.

Pourquoi un Iceberg Index marocain ne peut pas être un simple copier-coller

Le Maroc doit développer un modèle propre, fondé sur ses spécificités. Notre marché du travail est dual : une économie formelle structurée et une économie informelle massive. Notre système de formation reste insuffisamment arrimé à la science informatique et à l’ingénierie des systèmes d’information.

Enfin, notre position géopolitique hybride — offshoring, hub africain, souveraineté numérique émergente — impose un index souverain, fondé sur des données marocaines.

La fragmentation institutionnelle : un frein majeur

Le Maroc dispose d’acteurs clés (MIEPEEC, ANAPEC, OFPPT, CNSS, HCP, Ministère du Numérique, MarocPME, universités) mais ces acteurs travaillent en silos.

Résultat : aucune cartographie précise, aucun indicateur dynamique, aucun référentiel partagé, aucune simulation prospective. Le pays avance sans tableau de bord.

- Construire un Iceberg Index Maroc : une architecture en quatre piliers.

- Décomposition des métiers en tâches précises : construire un référentiel marocain basé sur la fonction publique, les banques, l’offshoring, les TPE/PME, l’artisanat, la santé, l’éducation. Classer les tâches en automatisables, hybrides ou humaines.

- Utilisation de données souveraines : CNSS, HCP, registres administratifs, référentiels sectoriels. Hébergement dans un cloud souverain ou dans de petits data centers régionaux.

- Intégration des régions et de l’informel : inclure Casablanca–Rabat, Fès–Meknès, Souss-Massa, Marrakech–Safi, Oujda, Laâyoune–Dakhla.

- Simulations pour orienter les politiques publiques : quel impact sur la CNSS si 30 % du back-office bancaire est automatisé ? Quelles reconversions dans les centres d’appel ? Quelles compétences prioritaires former ?

Solutions concrètes pour les institutions marocaines

- Créer un Observatoire national IA–Emploi regroupant : MIEPEEC, HCP, CNSS, ANAPEC, OFPPT, Ministère du Numérique, CGEM, syndicats. Produire l’Iceberg Index Maroc et un rapport annuel.

- Refonder la formation : modules “Travailler avec l’IA”, reconversions rapides, Minors IA-métier, Campus régionaux IA frugale.

- Mettre en place un “droit à la transition IA” : compte individuel de formation, incitations pour la reconversion, accompagnement social et psychologique.

- Adopter des plans de gouvernance IA : qualité des données, risques, transformation du travail, nouveaux métiers (auditeur IA, superviseur IA, médiateur IA).

- Utiliser l’IA pour créer de l’emploi utile : santé, éducation, justice, agriculture, artisanat, culture, territoires.

L’heure n’est plus à l’observation mais à l’anticipation.

L’étude du MIT/ORNL le montre : les pays qui réussissent ne sont pas ceux qui ont les meilleures technologies, mais ceux qui anticipent. Le Maroc doit choisir entre avancer avec un Iceberg Index Maroc ou continuer à naviguer dans le brouillard.

Ce ne sont pas les technologies qui décident de l’avenir d’un pays, mais sa capacité collective à apprendre vite, ensemble et de manière systémique.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Lundi 1 Décembre 2025