L'ODJ Média

Vers une solution numérique souveraine au Maroc : mythe ou horizon stratégique?


Rédigé par La rédaction le Lundi 22 Septembre 2025

Par Dr Az-Eddine Bennani

La cybersécurité est devenue un enjeu vital pour les États, les entreprises et les citoyens. Les attaques par rançongiciels, les compromissions de chaînes d’approvisionnement ou encore le vol massif de données montrent à quel point notre dépendance aux technologies numériques nous expose à des risques systémiques. Dans ce contexte, une question revient avec insistance : le Maroc pourrait-il bâtir une solution numérique souveraine, intégralement maîtrisée, depuis le matériel jusqu’aux logiciels.



L’aspiration à la souveraineté numérique

Vers une solution numérique souveraine au Maroc : mythe ou horizon stratégique?
Le Maroc a déjà franchi des étapes importantes :

- Infrastructure : projets de data centers souverains alimentés en énergies renouvelables, renforçant la localisation des données sensibles.
- Identité numérique nationale : généralisation de la CNIe et des services associés (« Mon Identité Numérique »), pierre angulaire de l’authentification en ligne.
- Écosystème local : initiatives de systèmes d’exploitation « made in Morocco », places de marché cloud souveraines et renforcement de la DGSSI et du maCERT.

Ces démarches visent à réduire la dépendance aux fournisseurs étrangers et à mieux protéger les données stratégiques. L’idée d’un environnement numérique souverain, accessible en arabe et en amazigh, correspond à une double exigence : la sécurité et l’inclusion.

Souverain ne veut pas dire invulnérable

Une telle solution end-to-end réduirait certains risques, notamment :

- La dépendance technologique, en gardant la maîtrise des codes sources et des architectures.
- Le contrôle juridique, grâce à l’hébergement local et à la protection des données dans le cadre marocain.
- L’appropriation citoyenne, par des interfaces en langues nationales qui réduisent les erreurs humaines.

Mais il serait illusoire de croire qu’un système « 100 % marocain » deviendrait automatiquement invulnérable. Toute pile logicielle et matérielle peut comporter des vulnérabilités, des bugs ou des failles non détectées. De plus, la menace ne vient pas seulement du code : elle se cache dans la chaîne d’approvisionnement, l’ingénierie sociale, le manque de formation des utilisateurs et les attaques zero-day.

Les conditions d’une vraie résilience

Pour que la souveraineté numérique marocaine devienne une réalité opérationnelle et non un simple slogan, il faut une approche systémique, combinant :

- Maîtrise de la chaîne d’approvisionnement : inventaire détaillé des composants (SBOM), audits indépendants et sécurisation du cycle de vie logiciel.
- Sécurité matérielle : intégration de « roots of trust », démarrage sécurisé (Secure Boot) et contrôle des firmwares.
- Défense en profondeur : patch management rigoureux, segmentation des réseaux, sauvegardes immuables et tests de reprise réguliers.
- Surveillance continue : centres de sécurité opérationnels (SOC) régionaux connectés au maCERT pour une détection 24/7.
- Appropriation citoyenne : interfaces en arabe et amazigh, campagnes de sensibilisation multilingues et formation adaptée aux réalités locales.
- Recherche et innovation : encourager les universités et startups marocaines à développer des briques critiques (SGBD, middleware, protocoles sécurisés).

​Un horizon stratégique, pas un mythe

Le Maroc dispose déjà de compétences, d’institutions et d’initiatives prometteuses. Mais une « solution souveraine intégrale » reste un horizon stratégique plus qu’une réalité immédiate. La véritable souveraineté ne se réduit pas à fabriquer chaque composant localement ; elle consiste à bâtir un écosystème résilient, capable d’anticiper, de détecter et de répondre aux attaques, tout en favorisant l’inclusion numérique et linguistique.

L’enjeu est clair : dans un monde où « tout le monde est potentiellement la cible des cybercriminels », comme le rappelle Jean-Yves Marion, la souveraineté numérique marocaine doit s’enraciner dans une vision systémique — mêlant technologie, gouvernance, culture et éducation. C’est à cette condition que le Royaume pourra conjuguer sécurité, autonomie et confiance, et tracer sa propre voie à l’ère de l’intelligence artificielle et du numérique globalisé.

Par ​Dr Az-Eddine Bennani




Lundi 22 Septembre 2025