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Vive la pastèque marocaine : triomphe ou mirage ?


Rédigé par La rédaction le Mercredi 10 Septembre 2025

Le Maroc s’apprête-t-il réellement à détrôner l’Espagne sur le marché européen de la pastèque ? Derrière les chiffres flatteurs, l’histoire n’est pas seulement celle d’un succès agricole. C’est aussi une bataille commerciale, écologique et sociale. Les exportations marocaines explosent, mais à quel prix et pour qui ?



L’ascension fulgurante du Maroc

Vive la pastèque marocaine : triomphe ou mirage ?
En l’espace d’un semestre, le Maroc a imposé sa pastèque comme l’un des fruits les plus convoités des étals européens. Entre janvier et juin 2025, pas moins de 130 600 tonnes ont traversé la Méditerranée pour atterrir dans les supermarchés de Paris, Berlin, Bruxelles ou Rome. Une progression spectaculaire de 53,49 % par rapport à la même période en 2024.

Ces chiffres, publiés par Hortoinfo sur la base des statistiques d’Euroestacom, ont fait l’effet d’une petite bombe. Le royaume est désormais deuxième fournisseur de pastèques de l’Union européenne, juste derrière l’Espagne. En valeur, le Maroc a même pris l’avantage, avec 162,43 millions d’euros générés, contre 153,27 millions pour Madrid.

Un producteur de Berkane rencontré lors d’un salon agricole à Meknès résume l’euphorie :
« Nos pastèques partent directement en camion frigorifique vers l’Europe. Les clients ne discutent presque plus le prix, ils veulent du volume et de la qualité. Pour nous, c’est une revanche après des années où nous étions vus comme des outsiders. »

​Le revers espagnol

Pendant que le Maroc monte, l’Espagne recule. Le pays ibérique, longtemps champion incontesté du marché européen, a vu ses exportations plonger de 42,47 %, à 150 550 tonnes. En un an, ce sont plus de 111 000 tonnes qui se sont volatilisées. Les producteurs andalous, frappés par des sécheresses historiques, accusent le coup.

Un exportateur espagnol cité par El País lâchait récemment, amer :
« Le Maroc profite de nos malheurs. Nous avons des restrictions d’eau sévères, eux pompent sans limite. Comment rivaliser ? »

La pique n’est pas anodine. Elle révèle un sujet sensible : la disponibilité en eau. Car derrière le duel commercial se cache une autre réalité, celle de l’impact environnemental.

​L’or rouge-vert de nos plaines

La pastèque marocaine séduit d’abord par sa qualité. Sucrée, juteuse, calibrée, elle s’impose sur les étals. Le prix moyen payé par les distributeurs européens en 2025 atteint 1,24 €/kg, contre 1,02 €/kg pour la pastèque espagnole. Une différence notable qui témoigne de la confiance croissante dans le produit marocain.

Dans les marchés de gros européens, certains acheteurs n’hésitent pas à affirmer que la pastèque marocaine est désormais perçue comme plus régulière en goût et en aspect. Une victoire symbolique pour les agriculteurs du royaume, qui se battent depuis deux décennies pour hisser leurs fruits au rang de référence internationale.

Mais ce succès a un prix : celui des ressources naturelles.

La question qui fâche : et l’eau dans tout ça ?

Cultiver une pastèque n’a rien d’innocent. Ce fruit, qui semble si léger une fois découpé, est en réalité une véritable « pompe à eau ». On estime qu’un seul kilo de pastèque nécessite entre 200 et 400 litres d’eau pour être produit.

Dans un pays comme le Maroc, déjà frappé par un stress hydrique chronique, la question dérange. Les barrages s’assèchent, les nappes phréatiques reculent, et pourtant les exportations de fruits gourmands en eau continuent de croître.

Dans la région du Souss, un agriculteur nous confie, la voix hésitante :

« Oui, on sait que l’eau manque. Mais on fait quoi ? Si on arrête, on meurt économiquement. Et puis, l’État nous pousse à exporter, c’est la stratégie nationale. »

Voilà toute l’ambiguïté : le succès à l’export est une fierté nationale, mais il alimente un débat brûlant sur la durabilité.

​Un marché européen en mutation

La progression marocaine s’explique aussi par une évolution du marché européen. Les consommateurs veulent du fruit toute l’année, à prix compétitif. Les Pays-Bas, troisième fournisseur, importent 65 010 tonnes, mais la majorité ne sont que des réexportations. La Turquie et l’Allemagne complètent le tableau, loin derrière.

Le Maroc profite donc d’une place laissée vacante par l’Espagne et d’une demande structurelle croissante. La proximité géographique, la logistique maritime et routière améliorée, ainsi que des accords commerciaux favorables jouent à plein.

Mais l’Europe n’achète pas les yeux fermés. Les ONG écologistes commencent à tirer la sonnette d’alarme : « importer des fruits qui assèchent des régions entières est-il vraiment durable ? ».

​La face sociale du succès

Si les devises générées font les gros titres, qu’en est-il des ouvriers agricoles ? Dans plusieurs exploitations visitées au Gharb, les saisonniers évoquent des conditions de travail éprouvantes : journées de 12 heures sous un soleil écrasant, salaires au ras du SMIG, absence de couverture sociale.

Une ouvrière témoigne, en essuyant la sueur de son front :
« On sait que nos pastèques partent en Europe et qu’elles se vendent cher. Mais nous, on ne voit pas la couleur de cet argent. »

Le succès marocain se construit donc sur une ligne de crête : il fait briller les chiffres macroéconomiques mais laisse en suspens la question de la justice sociale.

​Et demain ?

L’histoire de la pastèque marocaine est celle d’un triomphe… pour l’instant. Le royaume a su se hisser sur le podium européen, et même dépasser l’Espagne en valeur. Mais cette victoire est fragile.

Que se passera-t-il si Bruxelles décide de taxer les importations pour des raisons environnementales ? Si les sécheresses au Maroc s’aggravent ? Ou si les consommateurs européens, de plus en plus sensibles aux labels durables, se détournent d’un fruit accusé de « voler l’eau » des populations locales ?

Un expert en commerce agricole prévient :
« Le Maroc doit transformer l’essai. Produire plus ne suffit pas. Il faut produire mieux, avec moins d’eau, et en respectant les droits des travailleurs. Sinon, le succès actuel risque de se retourner contre nous. »

​Fierté ou illusion passagère ?

Alors, faut-il se réjouir ou s’inquiéter ? La pastèque marocaine incarne à la fois la réussite d’un secteur agricole conquérant et les contradictions d’un modèle basé sur l’export. Oui, le Maroc brille sur le marché européen. Mais derrière les tonnes et les millions, il reste une question ouverte : combien de temps ce modèle tiendra-t-il ?

La pastèque marocaine est devenue un symbole. Symbole de réussite économique, mais aussi miroir de nos fragilités. Et si la vraie victoire consistait à inventer une pastèque qui nourrit les marchés… sans assécher nos terres ni nos travailleurs ?

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Mercredi 10 Septembre 2025