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L'économie bleue au Maroc : mythe politique ou levier industriel ?

07/05/2025

Dans le paysage économique marocain contemporain, peu de concepts ont acquis une aussi forte résonance politique que celui de l'économie bleue. Présentée comme un vecteur stratégique de diversification économique, cette approche intégrée de valorisation des ressources marines et côtières fait l'objet d'un discours politique soutenu, particulièrement depuis l'intégration du concept dans le Nouveau Modèle de Développement (NMD) en 2021. Cependant, l'analyse approfondie du secteur révèle une dichotomie significative entre l'ambition affichée et la matérialisation concrète des projets industriels. Cet examen critique permettra d'identifier les secteurs où l'économie bleue constitue un véritable levier industriel, et ceux où elle demeure principalement une projection politico-économique.

L'articulation d'une vision maritime ambitieuse

La vision stratégique maritime du Maroc s'inscrit dans un contexte international favorable, marqué par la popularisation du concept d'économie bleue par les institutions multilatérales. Cette orientation a été progressivement intégrée dans l'architecture institutionnelle marocaine, culminant avec la création de la Commission Interministérielle de Développement de l'Économie Bleue (CIDEB) en février 2023. Présidée par le Chef du gouvernement, cette instance témoigne de l'importance accordée à ce secteur au plus haut niveau de l'État.

La CIDEB constitue désormais l'organe central de gouvernance pour la stratégie nationale de l'économie bleue, assurant la coordination entre les multiples ministères sectoriels impliqués – Pêche, Équipement, Tourisme, Énergie, Environnement et Recherche Scientifique. Son Comité technique, présidé par le Ministre délégué chargé du Budget, a officiellement lancé les travaux d'élaboration de la Stratégie Nationale de Développement de l'Économie Bleue (SNEB) lors de sa première réunion le 29 février 2024. Cette structuration institutionnelle témoigne d'une volonté politique manifeste de coordonner l'action publique autour de cet axe stratégique.

Le potentiel maritime marocain est effectivement considérable : avec 3500 kilomètres de littoral, dont environ 3000 km sur la façade atlantique, le Royaume dispose d'une Zone Économique Exclusive (ZEE) d'une superficie presque quintuple de son territoire terrestre. Cette configuration géographique exceptionnelle positionne le Maroc comme un acteur potentiellement majeur dans divers secteurs maritimes : pêche durable, aquaculture, biotechnologies marines, énergies marines renouvelables, tourisme côtier, dessalement d'eau de mer, transport maritime et exploitation des ressources minières sous-marines.

Analyse sectorielle : entre leviers industriels avérés et potentiels inexploités

Le secteur portuaire représente incontestablement le segment le plus développé de l'économie bleue marocaine. Le complexe Tanger Med s'est imposé comme un hub logistique mondial de premier plan, avec une capacité de traitement dépassant 10 millions d'EVP (Équivalent Vingt Pieds) annuels. Cette infrastructure, devenue la première plateforme de transbordement en Méditerranée et en Afrique, a transformé la position du Maroc dans les flux logistiques internationaux.

La stratégie portuaire nationale poursuit cette dynamique avec le développement de projets structurants comme Nador West Med, conçu comme un hub énergétique et industriel sur la façade méditerranéenne, et Dakhla Atlantique, qui ambitionne de devenir une plateforme logistique majeure pour l'Afrique de l'Ouest. Ces infrastructures constituent des leviers industriels tangibles qui génèrent un effet d'entraînement sur l'ensemble de l'économie nationale, tout en facilitant l'essor d'autres composantes de l'économie bleue.

Face au stress hydrique chronique qui affecte le Royaume, le dessalement d'eau de mer s'est progressivement imposé comme une solution industrielle stratégique. La station de Chtouka Ait Baha, près d'Agadir, illustre cette orientation avec une capacité initiale de 275 000 m³/jour, extensible à 400 000 m³/jour, ce qui en fait l'une des plus importantes infrastructures de ce type en Afrique. Cette infrastructure est le fruit d'une collaboration étroite entre le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts, l’ONEE, ainsi que divers partenaires institutionnels et régionaux, répond simultanément aux besoins agricoles et d'approvisionnement en eau potable.

Plus ambitieux encore, le projet de Casablanca (Fouarat) prévoit une capacité de 200 millions de m³ annuels, potentiellement extensible à 300 millions, avec une mise en service échelonnée à partir de 2026-2027. Représentant un investissement supérieur à 10 milliards de dirhams, cette infrastructure illustre la matérialisation concrète de l'économie bleue comme réponse aux défis structurels du pays.

Le modèle de Dakhla, intégrant dessalement, irrigation et production d'énergie éolienne, témoigne quant à lui d'une approche systémique particulièrement pertinente dans le contexte de l'économie bleue. Cette filière constitue indéniablement un levier industriel en pleine expansion, générateur d'investissements substantiels et créateur de valeur ajoutée nationale.

Le secteur halieutique demeure un pilier historique de l'économie maritime marocaine. La stratégie Halieutis, lancée en 2009, visait à transformer cette filière selon trois axes : durabilité, performance et compétitivité. La contribution du secteur au PIB national, oscillant généralement entre 2% et 3%, et la valeur des exportations de produits de la mer (31 milliards de dirhams en 2023) témoignent de son importance économique. La filière génère plusieurs centaines de milliers d'emplois directs et indirects, constituant un enjeu socio-économique majeur pour les régions littorales.

Cependant, malgré les avancées en matière de structuration, le secteur reste confronté à des défis persistants : surexploitation de certains stocks, nécessité de modernisation de la flotte artisanale et vulnérabilité croissante face au changement climatique. La pêche représente ainsi un levier industriel établi mais fragile, nécessitant une transformation plus profonde pour s'inscrire pleinement dans la vision de l'économie bleue durable.

L'aquaculture, considérée comme un axe de développement prometteur, présente un bilan plus contrasté. L'Agence Nationale pour le Développement de l'Aquaculture (ANDA) avait fixé un objectif ambitieux de 200 000 tonnes de production à l'horizon 2020, mais la réalité demeure bien en-deçà, avec une production annuelle de quelques milliers de tonnes seulement en 2022. Malgré le potentiel indéniable de zones comme la baie de Dakhla pour la mytiliculture et l'ostréiculture, le développement de cette filière reste entravé par des contraintes administratives, financières et techniques. L'aquaculture marocaine demeure ainsi à l'état embryonnaire au regard de son potentiel, illustrant l'écart entre ambition stratégique et réalité industrielle.

Le tourisme balnéaire constitue une composante majeure de l'offre touristique marocaine. Le développement de complexes intégrés comme les marinas de Tanger, Saïdia ou du Bouregreg témoigne de l'importance accordée à ce segment. Toutefois, l'intégration de cette activité établie dans le paradigme de l'économie bleue implique une transformation qualitative vers un modèle plus durable, prenant en compte les pressions exercées sur les écosystèmes côtiers, la gestion des déchets, la consommation d'eau et la préservation de la biodiversité marine.

L'émergence d'activités écotouristiques comme l'observation des cétacés ou la plongée sous-marine illustre cette transition progressive vers un tourisme côtier plus respectueux des équilibres naturels. Ce secteur représente donc un levier industriel avéré dont le défi réside dans sa transformation "bleue" pour s'aligner avec les principes de durabilité inhérents au concept d'économie bleue.

Énergies marines renouvelables : un potentiel considérable largement inexploité

Le contraste est particulièrement saisissant dans le domaine des énergies marines renouvelables (EMR). Le Maroc dispose d'un potentiel exceptionnel, particulièrement pour l'éolien offshore le long de sa façade atlantique, ainsi que pour les technologies houlomotrices (exploitation de l'énergie des vagues) et hydroliennes (exploitation des courants marins, notamment dans le détroit de Gibraltar). Les estimations évoquent un potentiel théorique de plusieurs dizaines de gigawatts pour l'éolien offshore, selon les études menées par MASEN (Moroccan Agency for Sustainable Energy) et IRESEN (Institut de Recherche en Énergie Solaire et Énergies Nouvelles).

Une avancée significative a été enregistrée en septembre 2024 avec le lancement par la Banque européenne d'investissement (BEI) d'un appel d'offres pour une étude de faisabilité visant à développer le premier projet éolien offshore du Maroc au large de la côte d'Essaouira. Cette initiative, soutenue par une subvention substantielle de 2 millions d'euros, marque une inflexion notable dans la trajectoire de développement de cette filière. Le choix d'Essaouira n'est pas fortuit, cette région bénéficiant de conditions particulièrement favorables pour l'exploitation de l'énergie éolienne offshore, avec des régimes de vents constants et soutenus propices à une production électrique optimisée.

Cette étude de faisabilité constitue une étape cruciale pour la transition d'un potentiel théorique vers un déploiement industriel concret. Elle permettra d'évaluer précisément les paramètres techniques, environnementaux, économiques et logistiques indispensables à l'implantation d'infrastructures de production en milieu marin. Cette démarche structurée signale l'entrée dans une phase opérationnelle, réduisant progressivement l'écart entre l'ambition stratégique et la matérialisation industrielle dans ce segment clé de l'économie bleue.

Biotechnologies marines et recherche océanographique : une infrastructure stratégique en développement

Le domaine des biotechnologies marines et de la recherche océanographique au Maroc connaît une évolution significative, illustrant la transition progressive d'un secteur émergent vers une structuration institutionnelle et technologique cohérente. L'événement marquant de cette évolution est l'inauguration officielle, le 6 février 2025, du navire de recherche « Al Hassan Al Marrakchi » au port d'Agadir, fruit d'une coopération stratégique maroco-japonaise.

Cette infrastructure maritime de pointe, acquise grâce à un prêt concessionnel japonais d'approximativement 462 millions de dirhams, représente un investissement substantiel dans le renforcement des capacités nationales de recherche océanographique. Sa conception pour des missions scientifiques approfondies répond aux exigences techniques des recherches océanographiques contemporaines.

L'acquisition de cette plateforme de recherche maritime transcende la simple dimension matérielle pour s'inscrire dans une vision stratégique globale de valorisation des ressources marines nationales. Elle permettra d'approfondir significativement la compréhension des écosystèmes marins marocains, condition préalable essentielle au développement raisonné des biotechnologies marines. L'étude systématique des micro-organismes, algues et autres ressources biologiques marines pourra s'effectuer dans des conditions optimales, ouvrant la voie à des applications potentielles dans les domaines pharmaceutique, cosmétique et nutraceutique.

Les défis systémiques de l'économie bleue marocaine

L'analyse sectorielle révèle un paysage contrasté, avec certains segments constituant de véritables leviers industriels (infrastructures portuaires, dessalement), tandis que d'autres demeurent à l'état de potentiel largement inexploité (EMR, biotechnologies). Cette hétérogénéité soulève la question des conditions nécessaires à la matérialisation de l'économie bleue dans toutes ses dimensions.

La gouvernance intégrée constitue un premier défi majeur. Malgré la création récente de la CIDEB, la coordination intersectorielle effective demeure complexe en raison du cloisonnement traditionnel des politiques publiques. La planification spatiale maritime, indispensable pour gérer les conflits d'usage croissants entre activités (pêche, aquaculture, EMR, transport maritime, tourisme), reste insuffisamment développée.

Le financement représente un second enjeu critique. Si certains secteurs comme les infrastructures portuaires ou le dessalement parviennent à mobiliser des investissements conséquents, d'autres comme les EMR ou les biotechnologies nécessitent des mécanismes de financement spécifiques et des incitations adaptées pour atteindre le stade de développement industriel.

Enfin, la question des compétences spécialisées constitue un troisième défi structurel. Le développement de filières innovantes comme les EMR ou les biotechnologies marines requiert des profils techniques hautement qualifiés, nécessitant une adaptation du système de formation aux besoins spécifiques de l'économie bleue.

Conclusion : vers une stratégie industrielle intégrée

L'économie bleue au Maroc présente ainsi un visage en constante évolution : réalité industrielle tangible dans certains segments, projection stratégique en cours de matérialisation dans d'autres. Cette configuration dynamique n'invalide pas la pertinence du concept, mais souligne la nécessité d'une approche différenciée selon les secteurs et leur degré de maturité.

Les segments établis comme les infrastructures portuaires ou le dessalement constituent des leviers industriels avérés, démontrant la capacité du Maroc à transformer son potentiel maritime en activités économiques génératrices de valeur. Les secteurs émergents comme l'éolien offshore entrent quant à eux dans une phase transitoire marquée par des initiatives concrètes comme l'étude de faisabilité lancée à Essaouira. Seules les biotechnologies marines demeurent encore largement à l'état de prospective institutionnelle, sans traduction immédiate en projets industriels significatifs.

L'enjeu fondamental pour le Royaume réside dans sa capacité à élaborer une véritable stratégie industrielle intégrée, transformant progressivement ces potentiels théoriques en filières opérationnelles. La récente création de la CIDEB et le lancement des travaux d'élaboration de la SNEB constituent des étapes prometteuses dans cette direction.

En définitive, l'économie bleue marocaine présente un profil dynamique en constante évolution. Elle n'est ni un simple concept politique désincarné, ni encore un système industriel pleinement développé, mais plutôt un paradigme économique en phase de matérialisation progressive, dont les différentes composantes avancent à des rythmes distincts. Les infrastructures portuaires et le dessalement constituent déjà des piliers industriels confirmés, l'éolien offshore et la recherche océanographique entrent dans une phase opérationnelle concrète avec des investissements significatifs, tandis que les biotechnologies marines commencent à bénéficier d'infrastructures scientifiques dédiées.

Cette transformation du potentiel maritime en réalité économique tangible s'inscrit dans une vision stratégique de long terme, soutenue par un engagement institutionnel formalisé par la CIDEB et les travaux d'élaboration de la SNEB. L'analyse de cette trajectoire révèle un processus de construction progressive d'un nouveau modèle de développement, où la mer devient simultanément un espace d'innovation technologique, de création de valeur économique et de préservation environnementale. Le succès futur de cette ambition reposera sur la capacité à maintenir cette dynamique transformative, en mobilisant les ressources financières, institutionnelles et humaines nécessaires à sa pleine concrétisation dans l'ensemble de ses dimensions.


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