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​Alger, bientôt le coming-out




Par Larbi Bargach

​Alger, bientôt le coming-out
ExxonMobil et Chevron, deux des plus grandes compagnies pétrolières et gazières au monde, sont engagées dans des négociations avancées avec l’Algérie pour développer des projets énergétiques d’envergure. Le contenu du projet d’accord, encore en discussion, permettrait à Alger de :  

•⁠  ⁠Exploiter son potentiel en gaz de schiste ;
•⁠  ⁠Valoriser, en partenariat avec Sonatrach, les ressources en hydrocarbures des bassins d’Ahnet, de Gourara et de Berkine ; 
•⁠  ⁠Bénéficier d’un partage des profits et des technologies, avec une clause stipulant qu’en cas de découverte majeur, le consortium américain serait remboursé des coûts d’investissement et percevrait 80 % des bénéfices ;
•⁠  ⁠Augmenter sa production annuelle de gaz et consolider sa position de fournisseur clé pour l’Europe occidentale.  

Ce rapprochement économique n’est pas dénué d’opportunisme politique. Il a été initié par un cabinet américain basé à Washington, spécialisé dans le lobbying : le BGR Group. Ce dernier a signé un contrat avec M. Sabri Boukadoum, ambassadeur d’Algérie à Washington, en 2023, pour un montant de 720 000 $.

Loin d’être un acteur anonyme, ce cabinet est réputé pour sa proximité avec Israël, affichée ouvertement dans ses campagnes de communication institutionnelle : « BGR Group supports the people of Israël » est le message de la dernière campagne. Autre preuve de ces liens, Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien, en a été l’un des conseillers éminents entre 1991 et 2001.  

Le choix de Chevron et ExxonMobil pour ce partenariat n’est pas anodin pour BGR Group : ces deux entreprises, très liées à Israël, sont des cibles privilégiées du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions).  

•⁠ Chevron est ainsi particulièrement visée par le Comité national palestinien qui a ouvertement appelé au boycott mondial de ses marques (dont Texaco et Caltex). Chevron est accusée de financer la guerre et l’apartheid, en fournissant une source de revenus massifs à l’État hébreu. Elle est aussi impliquée dans le projet EastMed Pipeline, une menace pour les droits des Palestiniens
•⁠  ⁠ExxonMobil est également critiquée pour avoir approvisionné en carburant les avions de chasse israéliens, notamment lors des opérations à Gaza.  

Ce rapprochement, avec des sociétés américaines liées à Israël, est à priori contre nature pour les algériens, auto-proclamés soutiens inconditionnels de la cause palestinienne. Il nécessite une explication et une origine : la signature de l’accord tripartite entre le Maroc, Israël et les Etats Unis. Au-delà de toutes les critiques légitimes, qui condamnent l’accord au sein des milieux politiques marocains, cet accord a obligé Alger à sortir de sa zone de confort.

En effet, pendant plus de 45 ans le lobbying pro-algérien incarné par la gauche radicale européenne a empêché toute avancée de la question du Sahara. La communauté européenne qui se déclarait proche du Maroc, lui faisait un chantage éhonté. Il a souvent été baladé entre la commission européenne qui lui faisait des promesses et le parlement ou le tribunal européen qui revenaient dessus. Dans une mise en scène sordide les gouvernements imposaient au Maroc des concessions qu’il ne pouvait pas refuser en raison de sa fragilité économique et des menaces qui pesaient sur sa cause.

Ce que la France acceptait l’Espagne le refusait, ce que les deux voulaient l’Allemagne le contredisait etc. Pendant 45 ans aucun des pays, soi-disant amis, n’a reconnu la marocanité du Sahara. En contrepartie personne ne reconnaissait la RASD et c’était vendu comme une faveur. Les européens faisaient semblant d’oublier que la RASD était une création de Kadhafi, Boumediene avait été mis devant le fait accompli.

Pourtant le dossier marocain était solide. La Cour Internationale de Justice avait reconnu des liens d’allégeances « politiques » entre les tribus sahraouies et les sultans du Maroc, sur simple présentation des archives conservées au Maroc. Celles conservées par les pays européens étaient classées « secret défense » afin de maintenir le Royaume sous pression et continuer à profiter d’un gaz algérien bradé à vil prix. Il est quand même édifiant de constater que les ex-puissances coloniales, toujours aux manettes, ont instrumentalisé les rivalités du Sud global pendant qu’elles-mêmes renforçaient leurs liens au sein de l’Union Européenne.

Ces puissances ont même inventé le concept de « Sahara occidental » – une appellation géographique fantaisiste, sans équivalent à l’est. Il n’y a pas d’entité politique dénommée Sahara Oriental (contrairement au Vietnam, où le Nord à son pendant au sud ; à la Corée, le Soudan, ou à l’Allemagne divisées).

Ironie de l’histoire : Lorsque l’Espagne occupait cette partie du territoire marocain, les colons n’hésitaient pas à l’appeler Sahara espagnol, alors qu’il n’y a aucune continuité territoriale entre les espaces, ce qui n’est pas le cas pour le Maroc et ses provinces du Sud.

Imaginez, à titre de comparaison, qu’au niveau des Alpes en Europe, la chaine couvre huit pays avec les Alpes françaises, les Alpes Italiennes, les Alpes autrichiennes et qu’au lieu de dire les Alpes Allemandes on dise les Alpes du Nord. C’est ce choc auquel sont confrontés les marocains pourtant.

La reconnaissance par Donald Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara en 2020 a bouleversé la donne et mis fin au chantage européen, malgré quelques résistances. L’Allemagne, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni et le Portugal ont emboîté le pas, conscients dorénavant de l’injustice historique infligée au Maroc.  Ce sont cinq pays dont l’avis compte, tant leurs liens avec l’Empire chérifien marocain du XIXe siècle était important.

Les cinq avaient des visées sur le Maroc et détiennent des archives qui pourraient s’avérer décisives. Un indice : le document publié par un journal anglais début aout 2025.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’accord tripartite initié par Trump – et ses conséquences sur le coming-out en cours de la position algérienne sur la cause palestinienne :   

1.⁠ ⁠Sur le plan économique : l’Algérie s’ouvre aux géants pétroliers américains et fait fi de leurs liens avec Israël ;  
2.⁠ ⁠Sur le plan militaire : le « mémorandum d’entente » de janvier 2025 scelle une coopération avec les États-Unis, encensée par la presse algérienne officielle (L’Expression, 17 août 2025, p. 24).
3.⁠ ⁠Sur le plan sportif avec le transfert polémique d’un joueur malien Salam Jiddou du NC Magra (Algérie) sous contrat jusqu’en 2026 (non démenti officiellement) vers Hapoel Haifa (Israël).  

Ces démarches vont-elles conduire à un coming-out algérien vers une reconnaissance officielle d’Israël pour sauver le dossier « Polisario » ? On peut supposer que non, Alger a toujours privilégié les tractations de coulisses, les négociations cachées et les trahisons sournoises.

Les révélations récentes de liens entre l’Espagne colon et Alger en 1962 font froid dans le dos. D’autant que deux ans auparavant le Maroc s’est brouillé avec la France par solidarité avec le FLN. Le rôle d’exécuteur testamentaire des intérêts post coloniaux a souvent sied au régime algérien grand défenseur des frontières artificielles tracées par la colonisation. En tous cas :    

Les accords noués avec les Etats Unis et Israël n’ont jamais entamé le soutien public et concret du Maroc à la Palestine. Leur contenu a été communiqué au président de l’autorité palestinienne en temps et en heure, avant d’être transmis quelques jours plus tard à M. Hannieh, l’ancien Président du Hamas. Il était en visite quasi officielle au Maroc. Ce soutien a pris une dimension humanitaire. Le Maroc, est du reste le seul pays qui, distribue les dons alimentaires aux gazaouis main dans la main sans les humiliations que leur font subir les autres donateurs.

Parmi ces donateurs l’Algérie est curieusement absente. Et quand l’ensemble du peuple marocain exprime sa solidarité envers les victimes d’un génocide, Alger interdit les manifestations pro-gaza que même Israël autorise. Pendant ce temps, la presse algérienne se focalise sur ses cibles favorites : le Maroc et la France.

Une affirmation à nuancer. Les dernières mesures du ministre de l’intérieur français, à l’encontre des dignitaires algériens, semblent porter leur fruit. Des personnalités franco-algériennes ont été mandatées pour appeler à un rapprochement entre Macron et Tebboune et, ce dernier aurait accordé une interview à BFMTV – un choix médiatique révélateur. Des tentatives qui confortent le choix du M. Retailleau et qui présage de ce que le régime algérien est prêt à faire pour sauver son cache misère, la question sahraouie.


Lundi 18 Août 2025