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​Chronique d’opinion : Mais où sont passés les chèques-vacances au Maroc ?

L’arlésienne des chèques-vacances au Maroc


Rédigé par le Jeudi 14 Août 2025

L’arlésienne est cette chose dont tout le monde parle ou que tout le monde attend, mais qui se fait discret ou demeure absent



​Chronique d’opinion : Mais où sont passés les chèques-vacances au Maroc ?
En lisant les brochures touristiques de notre beau royaume, on serait tenté de croire que le Maroc est un paradis pour tous. Des campagnes « Visit Morocco » aux spots vantant les plages d’Essaouira ou les dunes de Merzouga, tout y est : le soleil, l’hospitalité, la diversité.

Il ne manque qu’une chose : les Marocains eux-mêmes. Eux regardent les publicités depuis leur canapé, quand ils ne se serrent pas à sept dans une Dacia en direction du bled. Les vacances ?

Un luxe payant cash ou, pire encore, à crédit. Depuis plus de dix ans, un mot magique circule pourtant dans les couloirs ministériels : chèque-vacances. Vous en avez entendu parler, forcément ; c’est comme la pluie promise après la sécheresse.

Il y a toujours un ministre pour annoncer que « ça y est, c’est pour bientôt », un député pour déposer une proposition de loi, un blogueur pour s’enflammer sur le sujet. Puis plus rien. Le chèque-vacances, c’est l’arlésienne marocaine : on en parle, on en débat, mais il ne se montre jamais.

Un rêve made in France… qui se perd dans les sables

Les plus cyniques ironisent : « Encore une idée copiée chez les voisins ». Peut-être, mais quelle idée !

En France, ce mécanisme existe depuis 1982. Plus de 4,5 millions de personnes en profitent chaque année, générant 1,67 milliard d’euros de dépenses. Les ouvriers du bâtiment y vont à la mer, les employés de banque visitent le Mont-Saint-Michel. En Suisse, le précurseur REKA faisait voyager les familles dans les Alpes dès les années 1950.

Même l’Espagne, l’Italie et d’autres pays méditerranéens l’ont adopté pour doper leurs régions moins fréquentées.

Au Maroc, l’idée germe en 2012, portée certains professionnels du tourisme. Ils proposent un pécule annuel de 3 000 dirhams abondé par l’employeur et déductible d’impôts. Les établissements informels se déclareraient enfin, les familles iraient à l’hôtel sans sacrifier la rentrée des classes, et l’État y gagnerait en TVA.

Des histoires qui donnent envie d’applaudir. Puis l’histoire se répète. 2013 : « Kounouz Biladi » se veut la vitrine du tourisme interne, mais ce n’est qu’un site web avec des offres inexistantes.

2018 : le ministre Lahcen Haddad jure que le dispositif arrive, sans suite. 2020 : la loi de finances rectificative mentionne enfin les chèques-vacances. Champagne ! Hélas, l’amendement reste lettre morte. 2023 : nouvelle ministre, nouveau teaser : « On est sur la dernière ligne droite ».

Fin 2023 puis fin 2024, les lois de finances ne contiennent aucune mesure, le gouvernement invoque des priorités sociales. On connaît la chanson : les décrets d’application sont en « sieste prolongée ».

​L’argument du « détail technique »

Ce qui amuse – ou agace – le plus, c’est cette manie des responsables à brandir des « détails techniques » pour expliquer les retards. On imagine des réunions interminables où l’on se dispute sur la couleur des cartes prépayées ou la taille du code QR.

Pendant ce temps, les familles s’endettent pour trois nuits à Tétouan et reviennent avec plus de stress qu’en partant.

Les « détails » ne seraient-ils pas plutôt politiques ? Le dispositif demande une contribution de l’État, modeste certes, mais réelle. À l’heure de la réforme des retraites, de la sécheresse et du financement de la CAN 2025, qui veut se battre pour des vacances ?

En vérité, la question n’est pas de savoir si l’on peut financer des chèques-vacances, mais si l’on veut.

L’argument de la priorité aux secteurs sociaux est entendu. Sauf que l’éducation et la santé bénéficieraient aussi d’une population reposée et épanouie. Le droit aux vacances n’est pas un caprice bourgeois, c’est un élément d’équilibre social. Dans un pays qui prône l’égalité des chances, il est paradoxal que seuls les privilégiés puissent s’offrir un break tandis que les autres envient, commentent et… paient des intérêts bancaires.

L’informel, ce bouc émissaire pratique

On nous répète que l’informel est un frein : trop de locations clandestines, pas assez d’hôtels abordables.

C’est vrai : la chambre d’hôte non déclarée fleurit plus vite que les hôtels trois étoiles. Mais pourquoi ne pas prendre le problème à bras-le-corps ?

Le chèque-vacances était justement pensé pour imposer la traçabilité des dépenses et assécher l’informel.

Ne pas l’appliquer parce que l’informel est trop présent revient à refuser de réparer une fuite parce qu’il pleut.

Le vrai défi est ailleurs. Il s’agit de mettre tout le monde autour de la table : l’État, la CGEM, la CNSS, les syndicats et les hôteliers. De définir un organisme gestionnaire, de régionaliser les vacances scolaires et de construire des hébergements accessibles.

Pas de créer un énième comité. Or, depuis dix ans, on assiste à un ballet de responsabilités diluées. Personne ne veut porter le bébé, chacun renvoie la balle à l’autre, si bien que le projet reste orphelin.

Vacances à crédit versus épargne solidaire

Dans les banlieues de Rabat et de Fès, les agences de crédit à la consommation affichent un slogan : « Réalisez vos rêves maintenant ».

La réalité, c’est que des familles contractent des prêts pour trois jours à Tanger. Les taux d’intérêt sont élevés, la pression financière s’ajoute à celle du quotidien.

Les chèques-vacances, eux, proposent l’inverse : une épargne volontaire, un abondement patronal et une défiscalisation.

Plutôt que de nourrir les banques, on finance son propre bien-être. Cette logique existait dans le Maroc des années 80 avec les coopératives d’entreprise qui organisaient des colonies de vacances. Elles ont disparu avec la libéralisation. 

Aujourd’hui, la solidarité salariale se limite souvent aux cotisations sociales obligatoires. Pourquoi ne pas réinventer cette solidarité via un chèque-vacances moderne ?

De la résignation à l’innovation sociale

Il serait trop facile de conclure par un énième appel à la bonne volonté.

Essayons plutôt de voir grand. Et si les chèques-vacances devenaient un laboratoire d’innovation sociale ?

Imaginons un pilote dans deux régions, par exemple l’Oriental et le Souss. Les salariés des entreprises volontaires épargnent, l’employeur abonde, l’État accorde un petit crédit d’impôt. Les hôtels partenaires proposent des tarifs accessibles.

On teste, on corrige, on généralise. Pendant ce temps, le calendrier des vacances scolaires est différencié par zones, comme en France, pour éviter les embouteillages. On pourrait même imaginer des chèques-vacances verts, encourageant les séjours dans des villages écotouristiques, et des chèques-vacances culturels, donnant accès à des festivals et musées.

Les possibilités sont infinies, pour peu qu’on cesse d’utiliser les vacances comme variable d’ajustement budgétaire.

Un appel au courage politique Je ne suis pas naïf : gouverner, c’est choisir.

Mais choisir, c’est aussi hiérarchiser. On peut très bien investir dans un stade pour la CAN tout en réservant quelques dizaines de millions de dirhams à la cohésion sociale.

Le message que l’on envoie compte : « Oui, les Marocains ont droit à des vacances, et l’État les accompagne ».

À ceux qui pensent que le sujet est secondaire, je rappelle que les vacances sont un moment où l’on se retrouve en famille, où l’on découvre son pays, où l’on respire. Elles créent de la fierté et de l’appartenance.

Les priver à une majorité revient à accentuer les fractures sociales. En attendant, les familles continuent de jongler entre congés et découverts, les professionnels du tourisme regardent leurs chambres vides, et les ministres redoutent la moindre question des journalistes sur les fameux « détails techniques ».

Il est temps d’en finir avec cette arlésienne. Les chèques-vacances ne sauveront pas le monde, mais ils peuvent changer la vie de milliers de familles et donner un coup de fouet à notre tourisme. Alors, chères autorités, un dernier conseil : remplacez la procrastination par l’action. Vous verrez, les familles n’en seront que plus reconnaissantes, et vous n’aurez plus à inventer des slogans pour dissimuler l’inertie.

 

« Espérons que la dernière loi de finances de ce mandat, il faut bien rester optimiste, nous réserve enfin une belle surprise : l’émission de ces chèques‑vacances tant attendus. »




Jeudi 14 Août 2025