Le cœur bat à Rabat
Les éditeurs majeurs, les diffuseurs, les grands événements (comme le SIEL), les universités de référence, les subventions et même les lecteurs se concentrent dans les trois principales régions : Rabat-Salé-Kénitra, Casablanca-Settat, et Fès-Meknès. Cette surreprésentation géographique crée un biais dans la nature même des livres publiés : mêmes thématiques, mêmes auteurs, mêmes circuits.
Les autres régions, du Souss au Rif, du Gharb à l’Oriental, produisent peu, diffusent moins, et bénéficient rarement de la visibilité nationale.
Une dynamique alternative marginale
Certes, des initiatives régionales émergent : festivals locaux, ateliers d’écriture, coopératives culturelles. Quelques maisons d’édition apparaissent à Agadir, Oujda, Errachidia ou Tétouan. Mais elles travaillent souvent sans réseaux de distribution efficaces, sans appui logistique, et avec une visibilité médiatique proche de zéro.
Ces éditeurs locaux doivent à la fois dénicher des auteurs, financer l’impression, et vendre… dans un marché local exsangue. La centralisation n’est pas seulement culturelle, elle est aussi logistique et économique.
La question de l’équité culturelle
Le manque de structuration régionale de l’édition reproduit et renforce les inégalités culturelles : un auteur originaire d’Al Hoceïma ou de Laâyoune aura beaucoup plus de mal à publier et faire connaître son travail qu’un auteur installé à Rabat. Non pas à cause de son talent, mais faute d’infrastructures éditoriales à proximité.
De plus, la centralisation affecte la diversité des récits : les littératures régionales sont invisibilisées. Les langues locales, les traditions, les mémoires minoritaires ne trouvent pas d’éditeurs pour les porter.
L’avis de l’avocat du diable
L’édition marocaine est un grand rond-point autour de la capitale. Elle tourne en rond, entre les mêmes figures, les mêmes formats, les mêmes préoccupations urbaines. Et le reste du pays regarde passer les convois culturels… sans y monter. À force d’ignorer ses marges, le centre se condamne à l’ennui. L’avenir du livre marocain viendra des régions, ou il ne viendra pas.