Omar Hasnaoui Ch. PhD Président Fondateur de la Fondation Helios
Il me fallut plusieurs jours pour me remettre de ma consternation après l’annonce du décès d’Abdelkader Benslimane. Coupé du monde, c’est seulement après avoir pris contact avec sa famille que l’émotion, longtemps contenue, me submergea. Alors, tout remonta à la surface , les années partagées, les engagements, les liens silencieux. Une mémoire se réanimait dans la profondeur de mon émotion pour évoquer les choses qui sont de l’autre côté de l’horizon.
Abdelkader Benslimane s’inscrivit dans la lignée des grands serviteurs du Trône, dont le nom demeure lié aux constantes et aux causes sacrées du Royaume.
Comme l’initié traversant les épreuves et dont le destin est décidé, je l’ai rencontré jeune encore, à Bruxelles, dans le souffle des années soixante-dix, alors que lui-même, de retour de Tunis où il servait le Maghreb au sein du Comité permanent, représentait le Royaume auprès des Communautés européennes et de la Belgique. C’était un passionné de l’art et des lettres, un stratège, chaque mot qu’il consentait à livrer semblait venir d’une pensée décantée, mûrie au feu d’une conviction profonde.
Lorsque, en 1974, Abdelkader Benslimane, ministre des Finances du premier gouvernement de Ahmed Osman, me contacta à Bruxelles, où j’exerçais en qualité de chercheur scientifique au sein de l’Institut de sociologie et d’économie appliquée Solvay, il me dit , et je m’en souviendrai toujours :
J’occupai sans délai le poste de chef de cabinet, considérant que les grandes choses ne se réalisent pas dans les insignes du rang, mais dans la fidélité des actes. J’étais persuadé de me rendre utile à mon pays, bien que j’occupasse une fonction de choix au sein de l’institut, avec une belle promesse de carrière.
Dès mon retour, haut fonctionnaire au ministère des Finances, je me retrouvai au cœur d’un dispositif stratégique lié à la préparation logistique de la Marche verte. À ses côtés, je découvris un monde de rigueur, de silence et de volonté. Le ministère n’était pas un organe administratif : il était le laboratoire de l’avenir, la matrice d’un pays en construction.
Je participai à ses côtés aux tractations budgétaires avec les bailleurs internationaux, aux dialogues exigeants avec les fonds arabes et les partenaires européens. J’appris, sans tapage, ce qu’est la souveraineté budgétaire lorsqu’elle est portée par un homme soucieux des grands équilibres macroéconomiques.
Des hommes de qualité ont œuvré aux côtés d’Abdelkader Benslimane, ancrant son action dans une réalité collective. Il savait discerner les talents, les faire grandir, les placer dans les conditions d’un engagement exigeant. Ces figures de ceux que le Royaume a perdu furent nos compagnons, nos amis, et, au-delà même de cela, nos maîtres dans leur domaine spécifique.
Ma pensée va à Mustapha Sahel, Mohamed Sekkat, Othman Slimani, de grands commis de l’État, et tant d’autres. Ils portaient en eux une rigueur silencieuse, un sens de l’État nourri par l’exemple et la confiance d’un homme qui savait s’entourer et déléguer sans se défausser. Des témoins de cette époque extraordinaire, Dieu merci, sont encore parmi nous — fidèles, vigilants, en sentinelles de la chose publique. Sans les citer tous, je me permets de rappeler l’affection particulière et le respect profond qu’il portait à Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib.
Il pouvait être abrupt, tranchant, et parfois même injuste dans la rudesse de ses mots. Mais je sus toujours au fond de moi que cette dureté n’était jamais indifférente. Elle était celle d’un homme qui vous voulait debout.
Mais Abdelkader Benslimane ne fut point seulement un gestionnaire rigoureux. Il fut un politique, c’est-à-dire un homme du lien, du dessein, du temps long. Son combat pour un Maghreb uni ne l’abandonna jamais.
Dès les premières années de son action diplomatique, il fit du Comité permanent maghrébin un levier d’intégration. Il m’encouragea à travailler sur une thèse relative à l’intégration régionale, m’envoya à Alger, à Tunis, me mit en relation avec les grandes figures intellectuelles et politiques de la région. À cette époque, le dialogue entre les capitales maghrébines, bien qu’empreint de prudence, portait encore une espérance.
Il croyait que l’unité de la région ne se bâtissait pas dans les slogans, mais dans le partage patient d’un espace, d’une mémoire, d’un destin.
Il y avait chez lui une vision maghrébine lucide, enracinée, nourrie d’économie, de culture et de loyauté géopolitique , une vision qu’il savait s’inscrire dans celle, plus haute, de Sa Majesté le Roi Hassan II, dont il partageait les intuitions et l’ambition.
Le général Moulay Hafid, alors ministre de la Maison royale, ne s’en cachait pas lorsqu’il me l’a dit à Marrakech, sans détour. Et pourtant, son rêve ne vit pas le jour. Les murs se dressèrent, les ambitions divergèrent, les silences devinrent soupçons. Mais lui ne renia jamais son idéal. Il en conserva les contours dans le secret de ses pensées, et dans l’élégance sobre de son action.
Il veilla sur ce rêve sans l’abandonner, même quand tout semblait en nier la possibilité. Il fut cela : un veilleur éveillé du rêve maghrébin, refusant le renoncement, gardant vivante la flamme, non dans les mots, mais dans l’attente active d’un possible réenchantement.
Il avait foi dans l’avenir, et surtout dans la sagesse de Sa Majesté le Roi Mohammed VI dont la main tendue à l’Algérie, constante et sincère, incarne l’espérance d’une réconciliation juste et durable entre peuples frères.
Son départ du gouvernement en 1977 ne fut point un effacement. Il poursuivit sa mission au service de l’État : à la tête de la BNDE, dans des fonctions où l’ombre est parfois plus décisive que la lumière. Il s’approcha d’un courant enraciné dans le pays profond, aux côtés de Moussa Saâdi et d’autres figures engagées, et tenta de construire un espace politique fidèle à l’esprit d’un Maroc moderne et solidaire.
Ceux qui s’opposèrent à lui, après avoir claqué la porte du RNI conduit par Ahmed Osman, le firent souvent avec dureté. Il eut des adversaires farouches, et connut lui aussi un passage à vide. Mais il ne répondit jamais par la rancœur. Il tenait, comme par vocation, à rester digne, mesuré, calme dans la tempête.
Fin négociateur, il avait œuvré aux côtés de Sidi Mohamed Cherkaoui, grande figure du mouvement national, dans l’ombre féconde de la diplomatie, à Paris, sous De Gaulle.
Un charme unique émanait de sa personne. Abdelkader Benslimane avait à revendre courage et largesse de vue. Il vouait une tendresse infinie et un amour incommensurable à son épouse, ainsi qu’à ses enfants, qu’il entourait d’une attention constante et d’un amour fidèle. Et je peux dire, pour ma part, qu’il a eu une influence positive dans ma propre vie.
Aujourd’hui, il nous laisse un legs précieux : celui d’une fidélité inébranlable à la monarchie, à l’État, à l’idéal maghrébin. Une fidélité sans faille. Et dans une époque où la loyauté se dilue dans les vents du court terme, son exemple demeure.
إنا لله وإنا إليه راجعون
Omar Hasnaoui Ch. PhD
Président Fondateur de la Fondation Helios
Abdelkader Benslimane s’inscrivit dans la lignée des grands serviteurs du Trône, dont le nom demeure lié aux constantes et aux causes sacrées du Royaume.
Comme l’initié traversant les épreuves et dont le destin est décidé, je l’ai rencontré jeune encore, à Bruxelles, dans le souffle des années soixante-dix, alors que lui-même, de retour de Tunis où il servait le Maghreb au sein du Comité permanent, représentait le Royaume auprès des Communautés européennes et de la Belgique. C’était un passionné de l’art et des lettres, un stratège, chaque mot qu’il consentait à livrer semblait venir d’une pensée décantée, mûrie au feu d’une conviction profonde.
Lorsque, en 1974, Abdelkader Benslimane, ministre des Finances du premier gouvernement de Ahmed Osman, me contacta à Bruxelles, où j’exerçais en qualité de chercheur scientifique au sein de l’Institut de sociologie et d’économie appliquée Solvay, il me dit , et je m’en souviendrai toujours :
« Le Maroc a besoin de ses enfants. Rentre, tu travailleras à mes côtés. »
J’occupai sans délai le poste de chef de cabinet, considérant que les grandes choses ne se réalisent pas dans les insignes du rang, mais dans la fidélité des actes. J’étais persuadé de me rendre utile à mon pays, bien que j’occupasse une fonction de choix au sein de l’institut, avec une belle promesse de carrière.
Dès mon retour, haut fonctionnaire au ministère des Finances, je me retrouvai au cœur d’un dispositif stratégique lié à la préparation logistique de la Marche verte. À ses côtés, je découvris un monde de rigueur, de silence et de volonté. Le ministère n’était pas un organe administratif : il était le laboratoire de l’avenir, la matrice d’un pays en construction.
Je participai à ses côtés aux tractations budgétaires avec les bailleurs internationaux, aux dialogues exigeants avec les fonds arabes et les partenaires européens. J’appris, sans tapage, ce qu’est la souveraineté budgétaire lorsqu’elle est portée par un homme soucieux des grands équilibres macroéconomiques.
Des hommes de qualité ont œuvré aux côtés d’Abdelkader Benslimane, ancrant son action dans une réalité collective. Il savait discerner les talents, les faire grandir, les placer dans les conditions d’un engagement exigeant. Ces figures de ceux que le Royaume a perdu furent nos compagnons, nos amis, et, au-delà même de cela, nos maîtres dans leur domaine spécifique.
Ma pensée va à Mustapha Sahel, Mohamed Sekkat, Othman Slimani, de grands commis de l’État, et tant d’autres. Ils portaient en eux une rigueur silencieuse, un sens de l’État nourri par l’exemple et la confiance d’un homme qui savait s’entourer et déléguer sans se défausser. Des témoins de cette époque extraordinaire, Dieu merci, sont encore parmi nous — fidèles, vigilants, en sentinelles de la chose publique. Sans les citer tous, je me permets de rappeler l’affection particulière et le respect profond qu’il portait à Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib.
Il pouvait être abrupt, tranchant, et parfois même injuste dans la rudesse de ses mots. Mais je sus toujours au fond de moi que cette dureté n’était jamais indifférente. Elle était celle d’un homme qui vous voulait debout.
Mais Abdelkader Benslimane ne fut point seulement un gestionnaire rigoureux. Il fut un politique, c’est-à-dire un homme du lien, du dessein, du temps long. Son combat pour un Maghreb uni ne l’abandonna jamais.
Dès les premières années de son action diplomatique, il fit du Comité permanent maghrébin un levier d’intégration. Il m’encouragea à travailler sur une thèse relative à l’intégration régionale, m’envoya à Alger, à Tunis, me mit en relation avec les grandes figures intellectuelles et politiques de la région. À cette époque, le dialogue entre les capitales maghrébines, bien qu’empreint de prudence, portait encore une espérance.
Il croyait que l’unité de la région ne se bâtissait pas dans les slogans, mais dans le partage patient d’un espace, d’une mémoire, d’un destin.
Il y avait chez lui une vision maghrébine lucide, enracinée, nourrie d’économie, de culture et de loyauté géopolitique , une vision qu’il savait s’inscrire dans celle, plus haute, de Sa Majesté le Roi Hassan II, dont il partageait les intuitions et l’ambition.
Le général Moulay Hafid, alors ministre de la Maison royale, ne s’en cachait pas lorsqu’il me l’a dit à Marrakech, sans détour. Et pourtant, son rêve ne vit pas le jour. Les murs se dressèrent, les ambitions divergèrent, les silences devinrent soupçons. Mais lui ne renia jamais son idéal. Il en conserva les contours dans le secret de ses pensées, et dans l’élégance sobre de son action.
Il veilla sur ce rêve sans l’abandonner, même quand tout semblait en nier la possibilité. Il fut cela : un veilleur éveillé du rêve maghrébin, refusant le renoncement, gardant vivante la flamme, non dans les mots, mais dans l’attente active d’un possible réenchantement.
Il avait foi dans l’avenir, et surtout dans la sagesse de Sa Majesté le Roi Mohammed VI dont la main tendue à l’Algérie, constante et sincère, incarne l’espérance d’une réconciliation juste et durable entre peuples frères.
Son départ du gouvernement en 1977 ne fut point un effacement. Il poursuivit sa mission au service de l’État : à la tête de la BNDE, dans des fonctions où l’ombre est parfois plus décisive que la lumière. Il s’approcha d’un courant enraciné dans le pays profond, aux côtés de Moussa Saâdi et d’autres figures engagées, et tenta de construire un espace politique fidèle à l’esprit d’un Maroc moderne et solidaire.
Ceux qui s’opposèrent à lui, après avoir claqué la porte du RNI conduit par Ahmed Osman, le firent souvent avec dureté. Il eut des adversaires farouches, et connut lui aussi un passage à vide. Mais il ne répondit jamais par la rancœur. Il tenait, comme par vocation, à rester digne, mesuré, calme dans la tempête.
Fin négociateur, il avait œuvré aux côtés de Sidi Mohamed Cherkaoui, grande figure du mouvement national, dans l’ombre féconde de la diplomatie, à Paris, sous De Gaulle.
Un charme unique émanait de sa personne. Abdelkader Benslimane avait à revendre courage et largesse de vue. Il vouait une tendresse infinie et un amour incommensurable à son épouse, ainsi qu’à ses enfants, qu’il entourait d’une attention constante et d’un amour fidèle. Et je peux dire, pour ma part, qu’il a eu une influence positive dans ma propre vie.
Aujourd’hui, il nous laisse un legs précieux : celui d’une fidélité inébranlable à la monarchie, à l’État, à l’idéal maghrébin. Une fidélité sans faille. Et dans une époque où la loyauté se dilue dans les vents du court terme, son exemple demeure.
إنا لله وإنا إليه راجعون
Omar Hasnaoui Ch. PhD
Président Fondateur de la Fondation Helios