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​L’emploi à la carte : mirage de flexibilité ou mutation durable du travail au Maroc ?


Rédigé par le Samedi 21 Juin 2025

Un nouveau monde du travail est déjà là – et il bouscule tout
Le mercredi 18 juin 2025, à Rabat, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a donné le ton. Réuni autour du thème « Les formes atypiques d’emploi et les relations professionnelles », le Conseil a confirmé ce que beaucoup pressentaient : le monde du travail marocain vit une véritable révolution silencieuse. Nouvelles formes d’emploi au Maroc : comment garantir la compétitivité sans sacrifier les droits des travailleurs ? Le CESE propose des solutions équilibrées.



Entre promesses économiques et insécurité sociale, le nouveau visage du travail interroge

​L’emploi à la carte : mirage de flexibilité ou mutation durable du travail au Maroc ?
« Travailler autrement, oui. Mais à quel prix ? » Cette interrogation hante désormais les couloirs des entreprises, les plateformes numériques, et même les salons des travailleurs indépendants. Car derrière l’apparente modernité des nouvelles formes d’emploi se cache une équation complexe : comment concilier l’agilité économique avec les droits fondamentaux des travailleurs ?

On ne parle plus seulement de CDI ou de statut public, mais de télétravail, de missions ponctuelles, de freelancing ou de contrats gig sur plateformes numériques. Un glissement qui s’opère dans un flou juridique déroutant. Et ce flou, s’il est profitable à certains employeurs en quête de compétitivité, est aussi source de précarité pour des milliers de travailleurs.

« Le modèle traditionnel du salariat est bousculé de toutes parts », a souligné Dr Abdelkader Amara, président du CESE. Et ce basculement n’est pas marginal : il concerne des secteurs entiers et touche de plus en plus les jeunes, les femmes, et même des professions qualifiées.

Soyons clairs : ces nouvelles formes d’emploi ne sont pas en soi une menace. Elles offrent une flexibilité précieuse pour les entreprises, une porte d’entrée vers l’emploi pour les jeunes diplômés, et parfois même une meilleure conciliation entre vie pro et vie perso.

Mais à y regarder de plus près, la médaille a un revers inquiétant. Trop souvent, ces travailleurs dits « atypiques » sont privés d’un filet de sécurité élémentaire : protection sociale, stabilité salariale, droit à la négociation collective… autant de droits que leur statut flou rend difficile à faire valoir.

Le paradoxe est là : plus on gagne en souplesse économique, plus on fragilise les fondations sociales. Comme le résume crûment un entrepreneur du digital interrogé récemment : « Un prestataire sur plateforme, ça ne tombe jamais malade. Et s’il tombe, on le remplace. »

Face à ce déséquilibre, le CESE ne se contente pas de dresser un constat. Son rapport propose des pistes concrètes pour remettre de l’ordre, et surtout de la justice, dans cette mutation en cours.

Parmi les mesures phares recommandées :
Inscrire dans le Code du travail des dispositions claires sur le travail à temps partiel, avec des droits équivalents à ceux du plein temps.
Mettre à jour l’encadrement juridique du télétravail, en intégrant explicitement les droits des salariés à distance.
Donner une définition précise des emplois sur plateformes numériques, pour distinguer salariat, prestation, ou sous-traitance, et éviter les abus.
Réformer la protection sociale, afin qu’elle s’applique pleinement aux travailleurs indépendants ou précaires.
Garantir le droit à la formation continue, y compris pour les freelancers ou les saisonniers.
Intégrer ces formes d’emploi dans le dialogue social, à tous les niveaux, pour qu’aucune catégorie de travailleurs ne soit exclue des négociations collectives.

Ce que propose le Conseil, c’est une sorte de pacte social 2.0. Un cadre où l’innovation économique ne se fait plus au détriment de la dignité humaine.

Le risque majeur aujourd’hui, selon Mohamed Mostaghfir, rapporteur du rapport du CESE, est de voir émerger une dualité inquiétante : d’un côté les salariés « classiques », protégés mais de moins en moins nombreux ; de l’autre, une masse croissante de travailleurs « flexibles », corvéables, isolés, invisibles dans les statistiques.

Cela reviendrait à créer une « sous-catégorie » de travailleurs, sans droits pleins ni sécurité de parcours. Une situation qui pourrait à terme nourrir frustration, instabilité sociale, voire un rejet du modèle économique lui-même.

L’avenir de l’emploi au Maroc ne pourra être construit sur un déséquilibre aussi profond. Comme le soulignent de nombreux experts, « une économie ne peut être durable que si elle est socialement soutenable ».

Face à ces enjeux, trois priorités s’imposent :
 
  1. Former les travailleurs et les employeurs aux nouveaux métiers et aux statuts hybrides, via des mécanismes de formation continue, mais aussi une pédagogie citoyenne sur les droits du travail.
  2. Renforcer les observatoires de l’emploi, pour mieux anticiper les mutations sectorielles et technologiques, et orienter les politiques publiques en amont.
  3. Construire un socle juridique et fiscal équitable, qui ne décourage ni l’innovation ni la protection des personnes. Cela passe par une clarification des statuts, une simplification administrative, et une fiscalité qui n’oppose pas indépendants et salariés.


Le Maroc, comme beaucoup d’autres pays, est à un carrefour. Soit il choisit de laisser la flexibilité du travail se développer sans régulation claire — avec tous les risques que cela comporte. Soit il saisit cette transformation pour réinventer un contrat social adapté au XXIe siècle.

Les formes atypiques d’emploi ne sont pas une mode passagère. Elles incarnent une nouvelle norme qui mérite des règles équitables. C’est à ce prix que nous pourrons parler d’un véritable progrès économique et social.

Comme le dit l’adage : « Il ne faut jamais sacrifier le long terme au nom de l’immédiat. »

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Samedi 21 Juin 2025