Le décor : un système en tension face à un privé en expansion
Depuis quelques années, le Maroc a consenti un effort budgétaire important pour renforcer son système de santé. Les annonces officielles se succèdent : hausse des budgets, réhabilitation d’hôpitaux, ouverture de nouvelles facultés de médecine. Pourtant, sur le terrain, le déficit reste criant. Dans les hôpitaux régionaux comme dans les CHU, le nombre de médecins demeure largement inférieur aux besoins.
Pendant ce temps, le secteur privé connaît une croissance spectaculaire. Les cliniques se développent à un rythme soutenu, équipées de plateaux techniques modernes et financées par des capitaux puissants. Certaines chaînes ouvrent plusieurs établissements chaque année, consolidant leur position dominante. Ce contraste crée une dynamique inévitable : les médecins, formés dans le public, finissent par se tourner vers un secteur où les moyens et la reconnaissance semblent plus au rendez-vous.
Pendant ce temps, le secteur privé connaît une croissance spectaculaire. Les cliniques se développent à un rythme soutenu, équipées de plateaux techniques modernes et financées par des capitaux puissants. Certaines chaînes ouvrent plusieurs établissements chaque année, consolidant leur position dominante. Ce contraste crée une dynamique inévitable : les médecins, formés dans le public, finissent par se tourner vers un secteur où les moyens et la reconnaissance semblent plus au rendez-vous.
L’offre publique qui s’effrite
Aujourd’hui, le Maroc compte environ 25 000 médecins en activité, alors qu’il en faudrait au moins le double pour répondre aux standards internationaux. Dans les hôpitaux publics, le manque de spécialistes est particulièrement alarmant : anesthésistes, radiologues, urgentistes ou gynécologues quittent massivement leurs postes, laissant des services entiers fragilisés.
Cette pénurie alimente un cercle vicieux : plus les conditions de travail se dégradent, plus les départs se multiplient, et plus la charge pour ceux qui restent devient insoutenable. Dans certains hôpitaux provinciaux, il est aujourd’hui impossible de programmer certaines interventions faute de chirurgiens ou de matériel disponible.
Cette pénurie alimente un cercle vicieux : plus les conditions de travail se dégradent, plus les départs se multiplient, et plus la charge pour ceux qui restent devient insoutenable. Dans certains hôpitaux provinciaux, il est aujourd’hui impossible de programmer certaines interventions faute de chirurgiens ou de matériel disponible.
Trois moteurs d’un départ massif
1. Les salaires. Malgré des revalorisations récentes, le niveau de rémunération dans le public reste bien en deçà de celui du privé. Un médecin spécialiste dans une clinique peut percevoir trois à quatre fois plus qu’à l’hôpital. La comparaison est sans appel.
2. La carrière. La progression au sein du système public est lente, jalonnée de lourdeurs administratives et de plafonds de rémunération. Beaucoup de praticiens se heurtent à des perspectives limitées, alors que les cliniques leur offrent des conditions plus flexibles, parfois avec des parts dans le capital et des opportunités d’évolution rapide.
3. Le matériel. L’autre motif récurrent est la frustration de ne pas disposer des outils nécessaires pour soigner. Des scanners en panne, des plateaux chirurgicaux incomplets, des consommables manquants : cette réalité pousse les médecins à chercher un cadre où ils peuvent exercer leur métier dans des conditions dignes.
2. La carrière. La progression au sein du système public est lente, jalonnée de lourdeurs administratives et de plafonds de rémunération. Beaucoup de praticiens se heurtent à des perspectives limitées, alors que les cliniques leur offrent des conditions plus flexibles, parfois avec des parts dans le capital et des opportunités d’évolution rapide.
3. Le matériel. L’autre motif récurrent est la frustration de ne pas disposer des outils nécessaires pour soigner. Des scanners en panne, des plateaux chirurgicaux incomplets, des consommables manquants : cette réalité pousse les médecins à chercher un cadre où ils peuvent exercer leur métier dans des conditions dignes.
L’AMO généralisée : promesse sociale, effets inattendus
La généralisation de l’Assurance maladie obligatoire a constitué un progrès majeur pour des millions de Marocains. Mais dans les faits, elle a aussi déplacé une partie de la demande vers le privé. Désormais, de nombreux patients couverts choisissent directement la clinique, quitte à supporter un reste à charge. Résultat : le privé voit son attractivité renforcée, tandis que le public, incapable de rivaliser en qualité de service, perd encore en crédibilité.
Pour les médecins, cette dynamique se traduit par une pression supplémentaire : l’hôpital est saturé de patients mais vide de spécialistes, et le privé, alimenté par l’AMO, leur tend les bras.
Pour les médecins, cette dynamique se traduit par une pression supplémentaire : l’hôpital est saturé de patients mais vide de spécialistes, et le privé, alimenté par l’AMO, leur tend les bras.
Les témoignages du terrain
Dans les services hospitaliers, les praticiens expriment souvent un sentiment d’abandon. Un urgentiste raconte des gardes interminables, avec une pénurie chronique d’anesthésistes, rendant la moindre intervention complexe. Un chirurgien orthopédiste passé au privé affirme ne pas avoir cherché l’argent avant tout, mais la possibilité de travailler avec un plateau technique fiable et un calendrier d’opérations respecté.
Un médecin généraliste d’un hôpital provincial résume le paradoxe : « L’AMO a rempli nos salles d’attente, mais nous n’avons pas les spécialistes ni les moyens pour assurer l’aval. On annonce du matériel neuf, mais on attend toujours la réparation de l’ancien. » Ces témoignages montrent que l’exode n’est pas motivé uniquement par l’appât du gain, mais par une quête de conditions de travail normales.
Un médecin généraliste d’un hôpital provincial résume le paradoxe : « L’AMO a rempli nos salles d’attente, mais nous n’avons pas les spécialistes ni les moyens pour assurer l’aval. On annonce du matériel neuf, mais on attend toujours la réparation de l’ancien. » Ces témoignages montrent que l’exode n’est pas motivé uniquement par l’appât du gain, mais par une quête de conditions de travail normales.
Vers une médecine à deux vitesses
Le grand risque de cette migration est l’instauration d’une médecine à deux vitesses. D’un côté, ceux qui peuvent accéder au privé bénéficient de délais rapides, de matériel moderne et d’un suivi rapproché. De l’autre, les plus modestes, dépendants du public, se retrouvent face à des files d’attente interminables et à un désert médical dans certaines régions.
La fracture territoriale accentue ce phénomène. Les grandes villes, notamment Casablanca, Rabat et Marrakech, concentrent la majorité des cliniques. Les zones rurales, elles, continuent d’afficher une pénurie chronique, accentuée par le départ des rares praticiens disponibles.
La fracture territoriale accentue ce phénomène. Les grandes villes, notamment Casablanca, Rabat et Marrakech, concentrent la majorité des cliniques. Les zones rurales, elles, continuent d’afficher une pénurie chronique, accentuée par le départ des rares praticiens disponibles.
Le dilemme de l’État
Conscient du problème, l’État a tenté de réagir : revalorisation salariale, ouverture de nouvelles facultés de médecine, projets de partenariats public-privé. Mais ces mesures ne suffisent pas à inverser la tendance. La question centrale demeure : comment retenir les médecins dans le public sans bloquer le dynamisme du privé ?
L’un des points de tension réside dans la règle du cumul. Officiellement interdit, il est encore pratiqué de manière informelle par certains médecins qui jonglent entre hôpital le matin et clinique l’après-midi. Les autorités envisagent de resserrer l’étau, mais sans solutions alternatives, cette fermeté risque de provoquer des démissions pures et simples.
Réguler le privé, repenser le public
Face à ce dilemme, deux approches s’affrontent. La première consiste à durcir le cadre réglementaire pour forcer les médecins à rester dans le public. La seconde, plus pragmatique, vise à repenser les incitations : primes territoriales pour les zones rurales, contrats de service clairs avec objectifs mesurables, maintenance externalisée pour éviter la paralysie du matériel, ou encore recours au télé-suivi pour pallier la pénurie de spécialistes.
Le privé, de son côté, pourrait être mieux encadré. Des mécanismes comme la transparence tarifaire, l’incitation à ouvrir des établissements dans les zones sous-dotées ou l’accueil d’internes en formation permettraient de réduire la fracture entre les deux systèmes.
L’un des points de tension réside dans la règle du cumul. Officiellement interdit, il est encore pratiqué de manière informelle par certains médecins qui jonglent entre hôpital le matin et clinique l’après-midi. Les autorités envisagent de resserrer l’étau, mais sans solutions alternatives, cette fermeté risque de provoquer des démissions pures et simples.
Réguler le privé, repenser le public
Face à ce dilemme, deux approches s’affrontent. La première consiste à durcir le cadre réglementaire pour forcer les médecins à rester dans le public. La seconde, plus pragmatique, vise à repenser les incitations : primes territoriales pour les zones rurales, contrats de service clairs avec objectifs mesurables, maintenance externalisée pour éviter la paralysie du matériel, ou encore recours au télé-suivi pour pallier la pénurie de spécialistes.
Le privé, de son côté, pourrait être mieux encadré. Des mécanismes comme la transparence tarifaire, l’incitation à ouvrir des établissements dans les zones sous-dotées ou l’accueil d’internes en formation permettraient de réduire la fracture entre les deux systèmes.
Le citoyen, juge final
Au bout de la chaîne, ce sont les patients qui subissent le coût de cette migration. La carte AMO en main, beaucoup découvrent qu’elle ne garantit pas forcément un accès réel aux soins. Les inégalités se creusent : l’argent circule, mais les médecins manquent. Pour l’usager, la question est simple : pourra-t-il être vu, soigné, opéré à temps ?
Cette interrogation résume l’urgence. Car si la tendance se poursuit, la médecine publique risque de perdre sa raison d’être, laissant le terrain entièrement au privé. Une évolution qui transformerait en profondeur l’idée même de service public de santé.
Cette interrogation résume l’urgence. Car si la tendance se poursuit, la médecine publique risque de perdre sa raison d’être, laissant le terrain entièrement au privé. Une évolution qui transformerait en profondeur l’idée même de service public de santé.
Un vote avec les pieds
La migration des médecins du public vers les cliniques privées n’est pas une simple fuite individuelle, c’est un vote collectif avec les pieds. Les praticiens choisissent, par leurs départs, le système qui leur permet d’exercer leur métier dans des conditions correctes. Tant que l’hôpital public ne retrouvera pas une attractivité suffisante, tant que les salaires, les carrières et les conditions matérielles ne seront pas alignés avec les ambitions affichées, l’hémorragie se poursuivra.
Le Maroc se trouve face à un choix stratégique : laisser s’installer durablement une médecine à deux vitesses, ou investir massivement pour redonner au public la place qu’il mérite. La santé des citoyens, au-delà des chiffres et des réformes, dépend de cette décision.
Le Maroc se trouve face à un choix stratégique : laisser s’installer durablement une médecine à deux vitesses, ou investir massivement pour redonner au public la place qu’il mérite. La santé des citoyens, au-delà des chiffres et des réformes, dépend de cette décision.