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​Transparence publique et protection des données à l’ère des outils IA : sortir de la confusion




Dr Az-Eddine Bennani

​Transparence publique et protection des données à l’ère des outils IA : sortir de la confusion
Le débat récent autour de la publication de certaines listes professionnelles a mis en lumière une confusion persistante dans l’espace public : celle qui consiste à assimiler, sans distinction, donnée personnelle, information d’intérêt général et connaissance collective.

Cette confusion n’est pas anodine. Elle révèle une difficulté plus profonde à penser la gouvernance de l’information dans un environnement numérique désormais structuré par les plateformes, les bases de données et les outils d’intelligence artificielle.

Protéger la donnée n’est pas bloquer l’information

La protection des données personnelles vise un objectif clair : préserver la vie privée des individus face à des usages abusifs, commerciaux ou intrusifs. Elle ne saurait toutefois être interprétée comme un principe général d’opacité.

Lorsqu’une information concerne l’exercice d’une activité réglementée, reconnue ou organisée par une instance publique, elle change de nature. Elle devient une information d’intérêt collectif, dont la publication participe à la transparence, à la confiance et à la crédibilité du système.

Assimiler toute information nominative à une donnée à dissimuler revient à vider le principe de transparence de sa substance.

Donnée, information, connaissance : une distinction essentielle

À l’ère du numérique et de l’IA, la confusion entre ces trois niveaux devient dangereuse.
La donnée est un élément brut.

L’information est une donnée contextualisée et finalisée.

La connaissance est une information interprétée, partagée et mobilisable pour l’action collective.
Refuser de publier une information sous prétexte qu’elle contient des données personnelles, sans analyser sa finalité, son contexte et son intérêt général, traduit une approche défensive du numérique, plus proche de la peur que de la gouvernance.

L’opacité comme faux rempart

Dans de nombreux cas, l’opacité est présentée comme une protection. Elle produit en réalité l’effet inverse : elle alimente la suspicion, fragilise la légitimité des institutions et ouvre la voie aux rumeurs et aux interprétations erronées.

À l’ère des réseaux sociaux et des outils d’IA générative, ce qui n’est pas clarifié institutionnellement sera reconstruit ailleurs, sans cadre, sans responsabilité et sans vérification.

Gouverner l’information plutôt que la subir

La véritable question n’est donc pas de savoir s’il faut publier ou non, mais comment publier : avec quelles limites, avec quel cadre juridique et avec quelle responsabilité institutionnelle.
Gouverner l’information suppose de sortir d’une logique de blocage pour entrer dans une logique de pilotage éclairé, capable de concilier protection des personnes, droit à l’information et intérêt général.

Un enjeu stratégique pour le Maroc numérique
Dans un pays engagé dans une transformation numérique ambitieuse, la capacité à distinguer clairement entre ce qui doit être protégé et ce qui doit être rendu public devient un enjeu de souveraineté informationnelle.
L’intelligence artificielle ne fait qu’amplifier cette exigence : elle transforme les données en informations, et les informations en connaissances exploitables à grande échelle.

Ne pas penser cette chaîne, c’est accepter de la subir.

En conclusion
Protéger la donnée est une nécessité.
Bloquer l’information est une erreur.
Refuser de gouverner la connaissance est un risque.

À l’ère des outils d’IA, la maturité d’un État ne se mesure pas à ce qu’il cache, mais à ce qu’il sait rendre visible, intelligible et responsablement accessible.


Vendredi 19 Décembre 2025