1,5 million d’ingénieurs par an.. la nouvelle armée de Chine


Rédigé par le Jeudi 18 Septembre 2025

Il fut un temps où la puissance d’une nation se mesurait à la taille de son armée ou au poids de son économie. Aujourd’hui, un autre indicateur s’impose avec force : le nombre et la qualité de ses ingénieurs. Sur ce terrain, la Chine a pris une avance vertigineuse. Plus d’1,5 million de nouveaux ingénieurs sortent chaque année de ses universités, un chiffre qui dépasse largement les États-Unis, l’Europe et le Japon réunis. Ce n’est pas un simple effort académique : c’est une stratégie nationale, une mobilisation de talents qui redessine déjà l’équilibre mondial.



De l’école au champ de bataille technologique :

La Chine a compris que pour dominer les technologies émergentes, il fallait remodeler son système éducatif. En 2024, elle a supprimé près d’une centaine de spécialités jugées obsolètes pour les remplacer par des filières centrées sur l’avenir : biotechnologies, énergies renouvelables, intelligence artificielle, cybersécurité, ingénierie quantique. À l’Université du Sichuan, des cours classiques ont été remplacés par des programmes de pointe en sciences de la biomasse. Pékin ne se contente pas de former pour le présent : elle prépare ses ingénieurs à construire le monde de demain.

Cette révolution n’est pas confinée aux laboratoires civils. La Chine a intégré la dimension militaire dans la formation de ses ingénieurs. Des universités spécialisées forment des experts en cybersécurité, en communication militaire et en technologies d’armement avancé, allant des superordinateurs aux missiles hypersoniques. Cette dualité — civil et militaire — fait partie d’une stratégie assumée : transformer chaque avancée scientifique en force de frappe pour le développement économique et la défense nationale.

Au cœur de ce système se trouve le gaokao, l’examen d’entrée à l’université. Chaque année, 12 millions d’étudiants s’y affrontent dans ce qui est considéré comme le plus grand concours académique au monde. Pour les familles modestes, c’est la seule chance d’accéder à des disciplines prestigieuses comme l’ingénierie ou la médecine. Mais le gaokao est aussi critiqué : son accent sur la mémorisation bride la créativité et laisse peu de place à l’innovation individuelle. Pourtant, il a permis à la Chine de constituer une base colossale de talents, capable de soutenir sa montée en puissance.

Former pour dominer : le pari technologique de Pékin

Derrière cette façade impressionnante, des défis persistent. Plus de 500 millions de Chinois, issus surtout des campagnes, n’ont pas les compétences nécessaires pour s’intégrer dans une économie technologique. Le chômage des jeunes diplômés est en forte hausse — plus de 21 % en 2023. Même les ingénieurs, produits de cette immense machine éducative, peinent parfois à trouver un emploi. À cela s’ajoute le vieillissement rapide de la population et une baisse du nombre de travailleurs disponibles. La Chine a donc réussi à produire une armée de cerveaux, mais peine encore à les intégrer tous dans un marché du travail cohérent.

Pendant que Pékin multiplie ses ingénieurs, l’Occident fait face à un déclin démographique et à une désaffection des jeunes pour les filières scientifiques. L’Europe et les États-Unis risquent de se retrouver dans une position défensive, obligés de protéger leurs niches d’innovation pendant que la Chine investit massivement pour conquérir des secteurs entiers. Plusieurs scénarios sont envisageables : une Chine freinée par ses déséquilibres internes, ou bien une Chine dominant sans partage les technologies stratégiques, de l’intelligence artificielle à l’ingénierie médicale.

Ce que révèle cette transformation chinoise, c’est qu’aucune puissance ne peut prétendre au leadership mondial sans investir dans la science et l’ingénierie. Le pari de Pékin est clair : l’avenir appartient à ceux qui conçoivent, innovent et produisent. La question, désormais, est de savoir si le reste du monde saura répondre à ce défi, ou s’il assistera, impuissant, à l’émergence d’un nouveau centre de gravité scientifique et technologique.

​Maroc : former des ingénieurs, mais comment les retenir ?

Chaque année, le Maroc met sur le marché environ 11 000 ingénieurs diplômés et près de 19 000 titulaires de masters scientifiques pouvant occuper des postes techniques. Si l’on y ajoute les techniciens supérieurs et autres profils STEM issus des 189 écoles et instituts, ce sont près de 24 000 diplômés qui rejoignent le vivier national. Une performance d’autant plus remarquable que 42 % des diplômés en ingénierie sont des femmes, un taux parmi les plus élevés au monde selon l’UNESCO.

Pourtant, ce dynamisme académique se heurte à une réalité préoccupante : une fuite continue des compétences. Chaque année, 2 000 à 3 000 ingénieurs marocains choisissent de s’expatrier, attirés par des salaires plus compétitifs, des opportunités de recherche de pointe et des perspectives de carrière plus claires en Europe, en Amérique du Nord ou dans les pays du Golfe. Ce phénomène, qui s’ajoute à l’émigration des médecins et d’autres profils hautement qualifiés, affaiblit la capacité du pays à capitaliser sur son propre capital humain.

Le paradoxe est criant : alors que le Maroc investit massivement dans les filières scientifiques et ambitionne de devenir un hub régional en matière de numérique, d’IA et d’énergies renouvelables, le taux de chômage des jeunes diplômés dépasse 36 %. Les ingénieurs formés localement peinent souvent à trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences, et lorsqu’ils en trouvent, les salaires proposés ne rivalisent pas avec ceux des marchés étrangers. À cela s’ajoute un déficit en infrastructures de recherche et en passerelles solides entre universités et entreprises.

La question n’est donc plus seulement de former davantage d’ingénieurs, mais de créer les conditions pour les retenir : revalorisation des salaires, programmes de recherche appliquée, contrats attractifs de diaspora en mission, et intégration des ingénieurs dans des projets stratégiques nationaux. Sans cela, le Maroc restera une pépinière de talents… pour le reste du monde.

Mots-clés : Chine, ingénieurs, éducation, technologies émergentes, innovation, gaokao, chômage, stratégie militaire, puissance mondiale, avenir technologique





Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls… En savoir plus sur cet auteur
Jeudi 18 Septembre 2025
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