2025-2045 : l’OTAN dévoile les lignes de faille du futur technologique

Entre puissance quantique, guerre hybride et biologie de synthèse, l’Alliance trace les contours d’un monde aussi prometteur qu’instable


Rédigé par La Rédaction le Samedi 3 Mai 2025

Le dernier rapport de l’Organisation pour la science et la technologie de l’OTAN projette un avenir où la science devient non seulement moteur de prospérité, mais aussi champ de bataille. Sur la période 2025-2045, six mégatendances vont redessiner les lignes de fracture du monde : de l’IA à la biotechnologie, de la désinformation à la dépendance technologique. L’analyse dévoile un monde où chaque percée scientifique devient un enjeu de sécurité globale.



​Une compétition sans règles dans un monde fragmenté

Le rapport pointe un phénomène désormais central : l’évolution des domaines de compétition. La guerre ne se joue plus uniquement sur terre, en mer ou dans les airs, mais surtout dans le cyberespace, l’espace orbital et l’infrastructure informationnelle. L'OTAN anticipe une multiplication des attaques en dessous du seuil de la guerre ouverte, avec des puissances exploitant la coercition économique, les cyberattaques et la manipulation de l'information.

Derrière cette hybridation des conflits, une réalité s’impose : les technologies émergentes donnent à des acteurs étatiques et non étatiques un pouvoir inédit. La supériorité ne réside plus dans les effectifs ou les armements conventionnels, mais dans la capacité à exploiter l’intelligence artificielle, les systèmes autonomes et les satellites.

​L’IA et le quantique : les prochaines armes de domination

Parmi les transformations majeures attendues, la course à la supériorité technologique dans les domaines de l’intelligence artificielle (IA) et du quantique occupe une place centrale. Ces technologies sont appelées à redéfinir tous les secteurs : finance, santé, armement, communication, voire gouvernance. L’OTAN prévient que leur développement ne sera pas linéaire : il sera asymétrique, polarisé, et dominé par des logiques de bloc.

La compétition USA-Chine structure déjà le paysage. Tandis que les États-Unis dominent encore par l’innovation privée, la Chine, forte de ses investissements massifs en formation, commence à rivaliser dans les publications scientifiques et les dépôts de brevets. Une fracture technologique se creuse, promettant des zones d’influence et d’alliances technoscientifiques exclusives.

​La biologie de synthèse : nouvelle frontière du vivant

La biotechnologie, autre mégatendance identifiée, pourrait révolutionner autant la médecine que l'agriculture, mais aussi introduire de nouvelles menaces. Le développement de la biologie de synthèse, capable de créer des organismes artificiels ou de modifier le génome humain, exige des garde-fous éthiques et géopolitiques.

L’OTAN anticipe des risques de détournement à des fins militaires ou terroristes. Si les bénéfices sont énormes (vaccins personnalisés, biosurveillance, alimentation améliorée), la maîtrise de ces outils pourra être utilisée pour développer des agents pathogènes ciblés ou manipuler les émotions via les neurotechnologies. Un dilemme moral et stratégique s’installe : qui régulera les frontières du vivant ?

​Des inégalités technologiques qui creusent les fractures mondiales

L’accès inégal aux ressources rares nécessaires à ces technologies (terres rares, infrastructures de données, experts) exacerbera les tensions entre Nord et Sud, entre puissances et États fragiles. La résilience économique devient un paramètre critique : seuls les pays capables de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement et de coopérer sur des normes technologiques résisteront aux futurs chocs.

Le risque est celui d’un techno-nationalisme croissant : chaque État cherchant à dominer une technologie critique au détriment du bien commun. Dans ce contexte, les partenariats deviendront essentiels – mais aussi plus instables, car motivés par des intérêts immédiats plutôt que des valeurs partagées.

​Une défiance croissante face aux élites scientifiques et politiques

Autre alerte majeure du rapport : l’érosion de la confiance du public dans la science et les institutions. L’IA générative, en diffusant des images et des récits crédibles mais faux, menace de fracturer encore davantage le contrat démocratique. La désinformation est devenue une arme à part entière, sapant la légitimité des politiques publiques et des consensus scientifiques.

L’OTAN appelle à une régulation concertée des technologies à haut risque, mais aussi à une éducation critique du public. Sans alphabétisation numérique, les sociétés pourraient sombrer dans le cynisme ou le complotisme, devenant vulnérables aux manipulations internes ou externes.

​Vers une dépendance critique aux technologies privées

Enfin, l’intégration massive des technologies civiles dans les systèmes militaires pose un problème stratégique : qui contrôle quoi ? Le secteur privé détient désormais des leviers majeurs de souveraineté. L'interopérabilité entre Alliés est mise à mal par des standards divergents, des infrastructures incompatibles et des niveaux d’accès inégaux.

L’OTAN insiste sur la nécessité de renforcer les normes, les coopérations public-privé, et la mutualisation des ressources. Dans un monde d’interdépendance numérique, la moindre faille dans un État membre devient une menace pour l’ensemble.

​Le rapport conclut par un appel à l’anticipation.

Les dirigeants devront intégrer les scénarios multiples – y compris les plus extrêmes – et repenser la dissuasion en l’adaptant aux réalités technologiques. L’espace, autrefois théâtre neutre, devient un terrain à haut risque. La simulation avancée, la prospective juridique, et la résilience psychologique seront les nouveaux atouts du leadership.

Mais n’assiste-t-on pas aussi à un emballement du discours sécuritaire ? En posant chaque avancée technologique comme une menace potentielle, l’OTAN ne risque-t-elle pas de justifier une course sans fin à la militarisation ?

À trop vouloir prévoir les chocs, on oublie parfois de miser sur la coopération, la transparence, ou l’imagination sociale. La peur du futur peut être paralysante. Il serait peut-être temps de rappeler que l’humanité ne s’est pas seulement développée par la domination, mais aussi par l’échange, le doute et le rêve. Et si, au lieu d’un rapport sur les risques, on écrivait aussi une utopie technologique partagée ?




Samedi 3 Mai 2025
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