Agriculture familiale : la grande oubliée de la stratégie Generation Green ?


Analyse de la politique hydrique du Plan Maroc Vert suite à la publication du CESE "La petite et moyenne agriculture familiale : Pour une approche mieux adaptée, innovante, inclusive, durable et territorialisée"



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Par Ikbal Sayah, expert en développement humain et en évaluation des politiques publiques.

Essentiellement concentrée dans des exploitations agricoles de moins de cinq hectares, qui représentant environ 70% du total des terres agricoles, la petite et moyenne agriculture familiale (PMAF) assume plusieurs fonctions socioéconomiques et environnementales tout en employant une part importante de la main-d’œuvre agricole, majoritairement composée de travailleurs familiaux.  

La PMAF constitue bien un pilier du développement agricole et rural au Maroc et doit, à ce titre, figurer comme priorité stratégique dans les politiques agricoles et rurales nationales, comme cela ressort de l’avis adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale du Conseil économique, social et environnemental (CESE) le 31 octobre 2024. L’ambition est d’en faire un secteur plus productif, inclusif et durable, en propulsant son intégration dans les chaînes de valeur, son pouvoir de négociation au niveau des marchés locaux et sa contribution à la stabilité de la population rurale, à l’amélioration de son revenu et la préservation des écosystèmes.

Or, aujourd’hui, les défis auxquels la PMAF fait face se sont intensifiés. Son développement et sa résilience sont particulièrement impactés par des facteurs tels que le changement climatique, la hausse des prix des intrants, les perturbations des chaînes d’approvisionnement, le morcellement des terres et sa structuration insuffisante, couplée à une intermédiation excessive. De plus, le vieillissement de la population agricole s’accentue, au point d’obérer la viabilité de milliers de petites et moyennes exploitations familiales dans un contexte marquée par la désaffection des jeunes générations, moins enclines à perpétuer une activité considérée comme incertaine. 

Ce contexte ne signifiera pas pour autant la fin de la petite et moyenne agriculture. Il peut ouvrir la voie à la réorganisation en profondeur des structures d’exploitations et des modes d’exercice du métier d’agriculteur. Il faut donc bien se garder de l’érosion progressive du tissu agricole traditionnel qui, s’il parvient à attirer les jeunes, peut être constituer une composante essentielle de la résilience alimentaire du pays.

Dès lors, le Maroc doit pouvoir compter sur le renouvellement des générations pour accélérer la transformation du secteur et de faire de l’innovation le moteur de notre modernité agricole et alimentaire. Ce secteur, par essence, innove sans cesse et de tout temps, les agriculteurs doivent inscrire leurs activités dans des démarches de progrès. Aussi, le plan « Green Génération 2020-2030 » comporte une série de mesures, dont l’accompagnement par la formation de 350 000 jeunes agriculteurs et investisseurs afin de favoriser l’émergence d’un modèle plus résilient et productif. 

Il s’agit pas moins que de faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs ruraux, non forcément issus du milieu agricole, mieux formés, peut-être plus féminisés, davantage ouverts aux nouvelles pratiques agricoles et à la commercialisation en circuit court. 

L’agriculture traditionnelle, mieux organisée dans le cadre de coopératives et groupements agricoles productifs et assurant l’ancrage des populations rurales dans les territoires, coexistera alors, sans céder sa place, avec l’entreprise agricole qui vise à répondre à une demande mondiale, et avec une forme inédite de micro-exploitations qui empruntent les codes de la startup. Cette situation va constituer une véritable révolution culturelle dans le monde rural marocain, en espérant qu’elle donne naissance à une classe moyenne agricole véritablement entrepreneuriale. 

Il s’agit possiblement d’une tendance de fond à consolider pour qu’à terme, le secteur agricole puisse concurrencer les opportunités offertes par l’économie urbaine. Les fonctionnaires du ministère de l’agriculture devront, à l’avenir, être très attentifs à ce renouvellement escompté des générations d’agriculteurs pour qu’il soit l’occasion d’une accélération indispensable vers l’agriculture durable. C’est en effet souvent à partir de signaux faibles que se font les grandes transformations et innovations ! 

Le moment est donc non seulement d’organiser la connaissance de l’agriculture familiale du fait de ses caractéristiques et modes de fonctionnement spécifiques, non réductibles à une dimension économique ou, au contraire sociale, mais aussi d’investir dans la caractérisation de ces nouveaux actifs agricoles, la compréhension de leur insertion dans ce secteur d'activité, et la façon dont les politiques publiques les accompagnent.

Ikbal Sayah, expert en développement humain et en évaluation des politiques publiques. Il dirige depuis 2007 le pôle des études générales de l’Observatoire National du Développement Humain.


Dimanche 18 Mai 2025

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