Akdital : le mastodonte sanitaire qui risque d’ébranler un système fragile


Par Dr Anwar CHERKAOUI - Expert en communication médicale et journalisme de santé

Le paysage sanitaire marocain vit une transformation rapide, presque silencieuse, mais dont l’onde de choc commence à faire vibrer tout l’écosystème médical.

Au cœur de cette métamorphose : Akdital, un groupe privé qui, d’un simple acteur parmi d’autres, s’est hissé en quelques années au rang de colosse omniprésent.



Un poids lourd qui avance à grande vitesse

Nouvelles cliniques, plateau technique moderne, implantation dans toutes les grandes villes : l’ascension du groupe est spectaculaire.

Cette dynamique est saluée par une partie du public, en quête de qualité et de services rapides.

Mais derrière cette réussite, une inquiétude s’installe : celle d’un acteur qui grossit plus vite que la capacité du système à rester équilibré.

​Un écosystème fragile face à un géant

Le Maroc médical est construit sur un tissu particulier  : des petites cliniques, des laboratoires indépendants, des cabinets de radiologie, des centres de kinésithérapie, des orthophonistes, et une multitude d’acteurs qui maintiennent la médecine de proximité vivante.
 
Cet équilibre repose sur trois piliers : diversité, indépendance, proximité.
Aujourd’hui, ces piliers se fissurent.

L’intégration totale : modernisation ou hégémonie ?

Akdital ne se contente plus d’hôpitaux.

Le groupe déploie désormais ses propres structures de biologie médicale et de radiologie, dessinant un modèle d’intégration verticale qui maîtrise toute la chaîne de soins : consultation, imagerie, analyses, hospitalisation, chirurgie.

Cette stratégie, redoutablement efficace sur le plan économique, représente un risque majeur : asphyxier les indépendants.

Car comment résister lorsqu’un seul groupe contrôle l’ensemble du parcours patient ?

À terme, des cabinets pourraient fermer, des milliers d’emplois disparaître et la médecine de quartier perdre son ancrage.

Quand la domination menace la qualité

Le problème n’est pas la puissance, mais l’uniformisation.

Dans un paysage dominé par un quasi-monopole, les effets sont prévisibles :

— hausse potentielle des coûts,
— baisse de la qualité faute de concurrence,
— dépendance des patients à un seul modèle,
— fragilisation des systèmes de remboursement (AMO, CNSS, CNOPS).

Si un acteur impose seul ses volumes et ses tarifs, l’équilibre financier déjà fragile des régimes sociaux pourrait vaciller.

​Conflits d’intérêt : la menace invisible

Un groupe qui contrôle le diagnostic, l’analyse, l’imagerie et l’acte médical crée une situation où l’objectivité peut se diluer.

Le risque de conflit d’intérêt devient mécanique.

Or, l’éthique médicale repose sur deux valeurs sacrées : le libre choix du patient et l’indépendance du diagnostic.

Les deux sont aujourd’hui menacés.

Où sont les garde-fous ?

Le débat dépasse le secteur privé. Il touche aux fondements mêmes du système sanitaire marocain.

D’où une question légitime :
Que disent le Conseil de la Concurrence, les Ordres professionnels, et les institutions chargées de garantir un exercice pluraliste et équitable ?

Leur rôle est crucial :
- prévenir les dérives,
- protéger les praticiens indépendants,
- assurer la diversité de l’offre.

Un secteur privé fort, oui. Un secteur privé unique, non.

Le Maroc a besoin de modernité, d’investissements, d’innovation. Mais il a aussi besoin de pluralisme, de proximité, et de liberté d’exercice.

Un seul modèle, aussi performant soit-il, ne peut incarner à lui seul l’avenir de la santé.

​Le moment de vérité

Face à l’expansion accélérée d’Akdital, la vigilance n’est pas une posture. C’est une responsabilité collective.

Car le futur de l’équilibre sanitaire du pays se joue maintenant, avant que le mastodonte ne devienne un acteur unique, trop puissant pour être régulé, trop incontournable pour être contredit.

Jeudi 20 Novembre 2025



Rédigé par La rédaction le Jeudi 20 Novembre 2025
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