Il serait tentant d’établir un parallèle entre le trafic d’armes intercepté dans la région d’Asni, près de Marrakech, en novembre 1973, et l’attentat terroriste de l’hôtel Asni à Marrakech en août 1994, ou encore avec l’appel lancé, en novembre 2021, par Mokhtar Saïd Mediouni depuis la télévision algérienne El Hayat, invitant les Sahraouis à commettre des attaques terroristes à Marrakech ou Casablanca.
Pour comprendre la genèse de ce dispositif militaro-politique, il faut se concentrer sur les années 1972-1973, période charnière où se scelle l’alliance algéro-libyenne et où se met en place la mécanique du séparatisme saharien, appelée à devenir la carte maîtresse d’un long affrontement contre le Maroc.
La fin des événements de Moulay Bouazza, le 5 mars 1973, n’a en rien freiné Alger et Tripoli dans leurs complots. Les documents secrets du S.D.E.C.E. (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, France) révèlent que ces actions subversives se sont poursuivies sans relâche jusqu’en novembre 1973, avec un objectif clair: neutraliser toute réaction marocaine après la création du Polisario en mai de la même année. Ce processus ne peut être qualifié autrement que de parrainage du terrorisme.
Comment l’Algérie a préparé la carte du séparatisme au Sahara marocain
Ce groupe est lié aux manifestations de Laâyoune du 17 juin 1970, réprimées par l’Espagne, qui firent 11 morts et 23 blessés. Depuis lors, l’organisation agit dans la clandestinité en exigeant un retrait complet des forces espagnoles et une reconnaissance formelle par Madrid.
Cette fiche est doublement importante. D’abord, elle établit qu’à partir de 1970-1971, le champ politique saharien bascule vers une revendication séparatiste structurée, avec des relais médiatiques en Algérie (devenue amnésique face à ses engagements à Ifrane, Tlemcen, Rabat).
L’«Organisation de libération» n’est pas encore le Polisario, mais elle préfigure clairement un cadre organisé qui s’inscrit dans la même logique: lutte armée contre l’Espagne, refus de toute solution négociée avec Madrid, et revendication d’une légitimité autochtone exclusive. C’est le moment où l’Algérie commence à faire émerger un acteur qui puisse servir de levier diplomatique contre le Maroc.
Ensuite, la note suggère une lecture géopolitique de la situation: «il est possible que la publication de cette information traduise une nouvelle orientation de la politique algérienne», à la veille du débat aux Nations unies.
Ce passage est capital: Alger, qui jusque-là affirmait soutenir les efforts conjoints du Maroc et de la Mauritanie, laisse percer l’idée d’un relais propre, distinct, capable d’incarner une option tierce. En d’autres termes, l’Algérie ouvre déjà la voie à une carte séparatiste, non pas pour défendre les Sahraouis en tant que tels, mais pour disposer d’un outil de pression.
Dès 1971, donc, l’Algérie prépare le dossier du séparatisme comme une arme stratégique. Dans le contexte d’après-guerre des Sables (1963) et du traité frontalier encore inachevé, la création d’un «acteur sahraoui autonome» devient la seule carte susceptible de servir ses intérêts. C’est une manière de contester à la fois la souveraineté historique du Maroc et la présence coloniale espagnole, tout en gardant la main sur le processus.
Cette logique explique pourquoi, deux ans plus tard, Alger offrira un sanctuaire au Polisario: le mouvement n’apparaît pas comme une initiative endogène spontanée, mais comme l’aboutissement d’une ingénierie politique déjà amorcée.
La Libye de Kadhafi, acteur intempestif (1972)
En février 1972, un nouvel acteur surgit sur la scène saharienne: la Libye de Mouammar Kadhafi. À peine consolidé à Tripoli, le colonel entend jouer le rôle de champion de la cause anticoloniale et panarabiste. Son voyage en Mauritanie, relaté dans un rapport du SDECE du 29 février 1972, est un épisode révélateur.
«Kadhafi et Boumediene se rencontrent à Tripoli et définissent une ligne commune. La Libye fournit les armes et la formation militaire tandis que l’Algérie offre son territoire comme base arrière et relais diplomatique»
Cette tournée manquée illustre une contradiction fondamentale de la diplomatie kadhafienne. D’un côté, elle entend radicaliser la lutte contre l’Espagne et imposer Tripoli comme phare révolutionnaire du Maghreb et du Sahel. De l’autre, sa précipitation provoque un effet inverse, consolidant la présence militaire espagnole. Pourtant, cet épisode n’est pas anodin. Il inaugure l’implication libyenne dans le dossier saharien et prépare le terrain à une convergence avec l’Algérie.
La Libye, riche en pétrodollars et avide de rayonnement idéologique, apporte ce qui manque à Alger: un financement, un flux d’armes, une rhétorique anti-impérialiste. Ce rôle de «fournisseur» se précisera dès l’année suivante, lorsque des cargaisons d’armement seront livrées via Ouargla pour alimenter des filières clandestines en direction du Maroc. La visite intempestive de Kadhafi en Mauritanie, bien qu’elle soit un échec diplomatique, marque ainsi la première étape visible d’un axe algéro-libyen en gestation.
La structuration du dispositif subversif (1973)
Dans le même temps, le Maroc est convaincu que les rebelles trouvent refuge en Algérie où des camps d’entraînement leur sont offerts. Alger ne se contente pas de tolérer ces activités, elle ferme les yeux sur les filières d’acheminement d’armes et contribue directement à structurer les réseaux hostiles au Maroc.
Le rapport mentionne aussi des circuits logistiques passant par Ceuta et Melilla, permettant l’entrée d’armes en territoire marocain via Tanger et Nador. Ce détail souligne l’existence d’une zone grise où se croisent contrebande, complicités locales et ambiguïtés espagnoles. Madrid, tout en cherchant à maintenir son contrôle sur le Sahara, devient indirectement un maillon dans un trafic qui sert en réalité à déstabiliser le Maroc.
Cette situation reflète la complexité d’un conflit où la ligne de front ne se limite pas au désert saharien, mais s’étend aux enclaves et aux points sensibles du littoral méditerranéen.
Le plus significatif est la convergence politique entre Alger et Tripoli. Le 20 mars 1973, Kadhafi et Boumediene se rencontrent à Tripoli et définissent une ligne commune. La Libye fournit les armes et la formation militaire tandis que l’Algérie offre son territoire comme base arrière et relais diplomatique. Quelques jours plus tard, Boumediene confirme publiquement cette orientation en déclarant à Alger le caractère révolutionnaire de l’aide apportée aux rebelles marocains.
Cette coordination atteste qu’en ce printemps 1973, la subversion n’est plus seulement une série d’initiatives éparses, mais un projet stratégique concerté, encadré par deux États animés par la «manne pétrolière et idéologique».
Ce document illustre le basculement d’une opposition souterraine vers une véritable guerre indirecte contre le Maroc. L’Algérie et la Libye mettent en place une infrastructure militaire et idéologique sur laquelle le Polisario, créé officiellement en mai 1973, pourra s’appuyer immédiatement.
En reliant l’affaire du Sahara aux réseaux palestiniens et au discours révolutionnaire arabe, ils cherchent à lui donner une légitimité internationale, tout en affaiblissant le Maroc sur le plan intérieur et diplomatique. Le printemps 1973 marque ainsi le passage de la propagande et des intentions à une stratégie d’action coordonnée, où le séparatisme saharien devient l’outil central d’un complot algéro-libyen.
L’implication directe de l’Algérie
On y apprend que, du 3 octobre au 3 novembre 1973, des avions de transport libyens atterrissaient à Ouargla (sud de l’Algérie) avec des cargaisons d’armes, à raison de quatre à cinq rotations par semaine. Ce matériel était ensuite convoyé par avion jusqu’à El Goléa, puis par camions «Berliet» vers Beni-Abbès (sud de Béchar).
De là, les armes étaient réparties sur de petits camions conduits par des Marocains, et acheminées clandestinement vers les confins algéro-marocains jusqu’à El Asni, au sud de Marrakech. Le document souligne que la quantité d’armes transférées est suffisamment importante pour supposer qu’un mouvement de subversion d’ampleur se préparait au Maroc.
Un nota bene, dans le même document, précise que dès septembre 1973, des renseignements d’origine marocaine avaient déjà fait état d’un trafic d’armes entre l’Algérie et le Maroc par la région de Taouz–Erfoud (Tafilalet), confirmant la persistance et l’extension de ces réseaux.
Ce document secret illustre la convergence algéro-libyenne dans le soutien direct et matériel à des groupes armés marocains. La Libye de Kadhafi fournit les armes, l’Algérie de Boumediene assure la logistique et le transit par son territoire. Le choix d’El Asni, au sud de Marrakech, montre que ces filières visaient non pas seulement les confins sahariens, mais le cœur même du Maroc, ce qui témoigne d’une logique de déstabilisation nationale.
Ainsi se met en place un système à trois niveaux: la Libye fournit les armes et le financement, l’Algérie offre le sanctuaire territorial et la couverture diplomatique, le Polisario sert de vitrine politique. Le Polisario apparaît donc comme l’aboutissement d’une stratégie élaborée en amont, où le séparatisme est moins une expression spontanée qu’un instrument forgé par deux États pour porter atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc.
Mais la manœuvre échoua. L’appel de feu Hassan II à l’union nationale pour la défense de l’intégrité territoriale sut déjouer le projet algéro-libyen. En 1975, l’organisation de la Marche verte incarna la réponse la plus forte et la plus symbolique qui transforma une menace extérieure en victoire historique pour la souveraineté marocaine.
PAR JILLALI EL ADNANI/LE360.MA