Bienvenue au royaume des experts de gestion de crises !


Rédigé par le Lundi 9 Juin 2025

Il faut le dire haut et fort : bravo au ministère de l’Intérieur. Sincèrement. Ce n’est pas tous les jours qu’un pays arrive à faire applaudir, à Genève, un modèle de gestion des catastrophes naturelles né dans la douleur… et dans l’urgence. À la 8ᵉ session de la GP2025, le Royaume du Maroc a présenté, avec assurance, ses mécanismes de résilience, son approche multisectorielle, ses fonds spéciaux et ses leçons apprises. Et cela, c’est un exploit en soi. Un exploit de lucidité. Un exploit d’adaptation. Un exploit discret mais solide, né dans l’ombre, loin des projecteurs, mais pas sans sueur.

👏 Applaudissons donc. Oui, vraiment. Car c’est dans les crises qu’un État montre ce qu’il a dans le ventre.



A lire ou à écouter en podcast :


Et si les catastrophes naturelles étaient notre vraie spécialité ?

Image IA

Mais — car dans ce Royaume, il y a toujours un « mais » — et si nous étions en train de devenir experts en gestion des crises… faute de savoir gérer leur amont ? Car enfin, gérer la crise, c’est bien. Mais éviter qu’elle ne dégénère, c’est mieux, non ?

Gouvernance de crise : les champions de l’après-coup ?

Depuis le séisme d’Al Hoceima en 2004, puis celui d’Al Haouz en 2023, le Maroc s’est bâti une réputation : celle de savoir faire face, et vite. Des fonds d’urgence débloqués, des villages reconstruits à la hâte, des plateformes numériques d’indemnisation. Rien à dire. Le ministère de l’Intérieur fait le job. Et parfois même mieux que certains États occidentaux.

Mais une fois qu’on a salué l’action rapide et la coordination efficace, une question persiste, lancinante : pourquoi faut-il que chaque crise soit la matrice d’une nouvelle politique ? Pourquoi avons-nous toujours une réaction héroïque... après l’échec planificateur ?

C’est ici que le sarcasme commence à pointer. Car dans notre pays, il semble plus facile de gérer l’urgence avec brio que d’anticiper le banal avec rigueur.

On monte des commissions après les catastrophes, on structure des plans après l’effondrement, on active des fonds après les drames. C’est du Lean Management... à l’envers. On aurait aimé des diagnostics partagés, des feuilles de route audacieuses, des audits rendus publics, avant que la terre ne tremble ou que les bidonvilles ne s’enflamment.

Genève, ou la diplomatie de la catastrophe bien emballée

Soyons honnêtes : l’intervention marocaine à Genève a été élégante, maîtrisée, structurée. Une communication comme on les aime : infographies, données budgétaires, modèles exportables. Le Maroc propose même son expertise à d’autres pays. Et pourquoi pas ? Quand on sait transformer une faiblesse en force, c’est qu’on a compris l’essence de la gouvernance.

Mais restons lucides : ce succès international ne doit pas masquer nos angles morts nationaux. Le pilotage de la crise est irréprochable. Mais la planification ? La prévention ? La gouvernance territoriale, la formation continue, l’investissement dans la donnée locale, l’écoute des signaux faibles ? Ils restent, eux, à la traîne. Invisibles sur les slides de Genève.

Ne tirons pas sur les pompiers, pointons la carte

Ce n’est donc pas le pompier qu’il faut blâmer. Il est efficace, courageux, souvent silencieux, parfois injustement attaqué. C’est la cartographie des risques, la mise à jour des plans communaux, l’enclenchement des alertes précoces, qui méritent notre ironie constructive.

À quoi bon un fonds de résilience bien doté si les projets de voirie s’arrêtent en cas de pluie ? À quoi bon des partenariats avec la Banque mondiale si les marchés publics locaux restent sous-dimensionnés ? À quoi bon des data centers climatisés si l’information locale n’est ni collectée ni traitée à temps ?

Du réflexe de gestion… au réflexe d’anticipation

Le Maroc est-il en train de devenir un modèle de réaction plus que de prévention ? C’est toute la question. Un pays qui sait gérer les conséquences, mais qui tarde à gérer les causes. Un pays qui excelle dans l’improvisation organisée, mais qui souffre dès qu’il faut penser à long terme, poser des jalons, investir dans les procédures et non seulement dans les urgences.

Alors oui, applaudissons le ministère de l’Intérieur, qui a su construire un savoir-faire solide dans la gestion des crises, et qui sait le porter sur la scène internationale. Mais demandons davantage à nos politiques publiques : plus de projection, plus de cohérence, plus d’humilité. Et moins de surprise quand le chaos revient.
Et si demain, on gérait aussi… la normalité ?

La vraie résilience d’un pays, ce n’est pas sa capacité à se relever. C’est sa capacité à ne pas tomber. Ce n’est pas de gérer la crise avec bravoure, mais de vivre l’absence de crise avec intelligence.
 
Que Genève reste une vitrine, oui. Mais que le chantier soit, lui, dans nos communes, nos quartiers, nos priorités invisibles.




Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls… En savoir plus sur cet auteur
Lundi 9 Juin 2025
Dans la même rubrique :