CARICATURES: DEUX POIDS DEUX MESURES


Rédigé par Hicham Aboumerrouane le Vendredi 11 Décembre 2020



De la mauvaise foi

 

IL est avéré que la bonne foi n’est pas l’apanage de tous. Et que faire preuve d’un tant soit peu d’honnêteté ne  peut que  barrer la route au non-sens, éviter tout débordement  et assoir les prérequis d’un vivre-ensemble qui s’accommode des différentes sensibilités citoyennes.

Nous pouvons concéder le fait que la caricature puisse faire partie intégrante de l’identité française. Laquelle caricature devient par les temps qui courent une  expression juchée si haut dans le vocabulaire français, à telle enseigne que celle-ci soit essentialisée,   accolée  à l’identité-même,     que l’on est prêt à douter de sa supériorité « clinique » sur les valeurs concomitantes qui s’articule autour de la République française : «Liberté, Égalité, Fraternité ». 

Un trio conditionné par des lois, et qui dessine les contours d’un pays moderne aspirant à la démocratie. Nous pouvons, preuve à l’appui,   en faisant fi de toute sensibilité partisane illustrer le bafouement de ce socle républicain, garant de respect et de tolérance. Ceci en procédant par un cochage bête et méchant de cases définies, lesquelles cases  renferment dans leurs essences de ces valeurs incontournables pour parer contre la discrimination, le séparatisme ou tout attisement de haine.

Un mauvais exemple

D’abord, si liberté il y a, celle-ci ne peut se  conjuguer à l’absolu, mais est, et dans les meilleurs des pays faisant profession de démocratie, délimitée par nombre de garde-fous, ou d’interdits sensé faire régner l’ordre. Et que nous pouvons objecter, dans le cadre de ces caricatures qui sèment la  discorde jusque par-delà les frontières, si ces mêmes caricatures  étaient incontournables pour distiller sainement  les principes de la liberté d’expression à des élèves de 14 ans.

En d’autres mots, crus mais pratiques,  si la photo d’un individu dans son appareil le plus simple, dans sa représentation la plus abjecte, et qui par-dessus le marché, est attribué sans vergogne  au prophète de l’Islam, symbole sacré pour plus de deux milliards de musulmans de par le monde  était nécessaire à l’exploration d’un sujet à la fois noble et vaste.

N’y eut il pas là quelque manquement à l’éthique, aux bonnes mœurs, ou quelque frivolité à miser sur un si mauvais exemple, à fortiori de mauvais goût, pour marquer  les dimensions de la liberté d’expression ? Peut-être que ce professeurdont, sans l’ombre d’un doute,  nous déplorons la perte car nulle chose, serait-elle en rupture  jusqu’avec le consensus et des plus généraux ne justifie l’atrocité de sa mort. Peut-être que ce professeur donc, pouvait  par pudeur se contenter  de citer l'exemple, soit-il des plus mauvais, du journal satirique du Charlie-Hebdo sans pour autant en faire la promotion.

Car nous pouvons présumer et sans pour beaucoup nous tromper de cet esprit bon-enfant-méchant qui fait un adolescent de 14 ans. Et qu’armé de toutes les bonnes volontés du monde il ne puisse, ne serait-ce qu’un laps de temps, projeter, et malgré lui peut-être, cette représentation dégradante sur ses camarades de classes de confession musulmane. 

Car, sans doute faut-il  rappeler que le projet de ce journal est de nature satyrique, et que s’il ne soutire pas des rires, ou des brimades, et c’est bien là sa ligne éditoriale que nous ne lui reprochons nullement,   il aurait sûrement manqué son objectif.

La laïcité bafouée

 N’y eut il pas discrimination de ne point prodiguer le savoir à l’ensemble des élèves, en désignant la porte à ceux  de confession musulmane, au meilleur des cas le  détournement  du regard ? Car il est évident que ce choix  n’est pas anodin,  qu’il suppose aussi bien  dans le conscient collectif, que pour soi, que le matériel du cours est de nature offensante, et peut dans certains cas semer le trouble parmi les élèves de l’école républicaine.

Les remonter les uns contre les autres. Et que même, dans le silence le plus absolu, un air de mépris ne manquerait de s’exercer, de plomber l’atmosphère « bon camarade » , de  se perpétuer peut-être  le long des heures de classes à venir.  La laïcité n’exige-t-elle pas de l’égard envers les convictions plurielles ? ne circonscrit-elle pas cette même liberté dans le cadre de respect de ces mêmes convictions ?  De là, sans doute faut-il être de mauvaise foi pour alléguer que  montrer à des élèves de confession musulmane leur prophète nu, ou à leurs camarades de classe, serait  respectueux.

Une liberté duplice

 Et que supposé que les lignes   qui régulent cette liberté d’expression soient si distendues,  aurait-on, en arborant  le seul droit à la liberté d’expression, le même culot, ou la même audace à montrer en classe  une caricature de juifs dans des chambres à gaz, ou encore une quelque moquerie prenant comme cible  la Shoah ?

Ou aurions-nous eu tant de détermination à opposer, sous la banderole de Dame liberté, à l’existence ou pas des chambres à gaz ? Pourrions-nous de même expliquer à ces jeunes pousses que le fait de nier l’existence des chambres à gaz, porte le nom de négationnisme, et que le négationnisme est puni par loi française et républicaine ? 

 Qu’on n’est pas libre d’en discuter ? Ou bien , peut-on, dans le cadre de la liberté d’expression brandir un journal qui met en avant la caricature d’un Hitler Nazi en train d’apprendre la haine du juif aux petits français ? 

Maintenant que nous avons mis sur table de ces exemples mettant en clair la duplicité, et la partialité de ce mot-valise qu’on appelle liberté d’expression, revenons en 2009 où le caricaturiste Maurice Siné travaillant pour le compte de Charlie-Hebdo fut contraint de quitter le navire après qu’il ait caricaturé  le fils de Nicolas Sarkozy se convertir au judaïsme pour des raisons financières.

Là, il n’en fallut que peu pour sortir les grands mots, à l’exemple de celui de l’antisémitisme pour se permettre tous les dérapages. Mais malheur est de constater que quand il s’agit d’une atteinte portée aux musulmans, que l’on mette cela sous la bannière de la liberté d’expression. Deux poids deux mesures.

Le cas Morano

 Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette ambivalence tapante. Citons celui de Nadine Morano, qui en pleine tempête, écrit un tweet pour le moins irresponsable. Un tweet qui stipule que le mode de vie français ne serait pas négociable, et que le Maroc serait  appelé à reprendre ses jeunes mineurs venus illégalement sur le territoire français. 

D’abord, quelle témérité, et surtout quelle confusion que celle de mêler deux faits hétéroclites, qui n’ont en commun que la bêtise signée de l’auteure. D’ailleurs si Madame Morano semble si dévouée pour ce qu’elle appelle très vite  le mode de vie français, nous nous demandons pourquoi celle-ci avait en 2016 porté plainte contre ce même journal satirique du nom de Charlie Hebdo qui l’a caricaturé en fille trisomique de De Gaulle. 

Raison était que Madame Morano avait voulu surprendre comme à son accoutumée en bâclant une phrase hors contexte qui dit que les  Français seraient un peuple chrétien et de race blanche. Mais passons sur la raison, car si la caricature répond si bien au mode de vie français ne serait-il pas  judicieux qu’elle l’intègre d’abord à son raisonnement plutôt qu’à vouloir ne la tolérer que pour les autres. 

Puis ce même journal  n’avait-il  pas été censuré pour avoir caricaturé la mort de De Gaulle lui-même alors qu’il portait le nom de Hara-Kiri ? N’avait-il pas titré «  Bal tragique à Colombey_ 1 mort » en instrumentalisant  l’incendie d’un dancing qui avait fait une centaine de morts en 1970 ?   Nous venons d’illustrer la malheureuse liberté à deux vitesses et qui ne sait de quelle lâcheté donner.  Si les exemples ne manquent pas, le courage, lui, vu sous  cet angle, est en rupture de stock. 

 

Hicham Aboumerrouane

 





Vendredi 11 Décembre 2020
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