Casablanca et Nador : les mégaprojets de dessalement à la loupe


Rédigé par La rédaction le Jeudi 26 Juin 2025



Le Maroc mise gros sur deux piliers de sa stratégie hydrique : Casablanca et Nador. Ces deux villes côtières, bien que très différentes dans leur histoire, leur taille et leur position géographique, partagent désormais un destin commun. Elles abriteront à l’horizon 2030 les deux plus grandes stations de dessalement d’eau de mer du pays. Ces projets pharaoniques incarnent à la fois l’urgence de répondre au stress hydrique structurel et la volonté du Royaume de s’inscrire dans une vision technologique et durable de l’accès à l’eau.

Casablanca, capitale économique du pays, est aujourd’hui dépendante de ressources hydriques qui proviennent de plus en plus loin. Sa croissance urbaine, industrielle et démographique impose une pression continue sur les bassins existants. La nouvelle station de dessalement prévue atteindra à elle seule une capacité de 300 millions de mètres cubes par an, soit près d’un quart de la future capacité totale du pays en eau désalinisée. La majeure partie (270 Mm³) sera dédiée à l’eau potable. Un choix politique et logistique évident, tant la demande est massive dans cette métropole de près de huit millions d’habitants.

À l’autre extrémité du pays, sur la façade méditerranéenne, Nador accueillera quant à elle une station tout aussi ambitieuse, avec une capacité projetée de 250 millions de m³ par an. Ici, la logique est différente. La région de l’Oriental, historiquement marginalisée dans les politiques hydriques nationales, fait face à un épuisement rapide de ses nappes phréatiques. En injectant une telle quantité d’eau nouvelle dans le système, les autorités espèrent inverser la tendance, soutenir l’agriculture locale et anticiper les pressions migratoires climatiques. Fait marquant : 110 millions de m³ seront dédiés à l’irrigation, soit plus de 40 % de la capacité totale de la station. Un choix stratégique dans une région où la souveraineté alimentaire locale est aussi un enjeu de cohésion sociale.

Les deux projets sont programmés entre 2026 et 2035. Ils mobiliseront des investissements considérables, dont le montant précis n’a pas été communiqué. Mais à titre d’exemple, des projets de moindre envergure comme celui d’Agadir (100 Mm³) ont nécessité plusieurs milliards de dirhams. On peut raisonnablement estimer que les installations de Casablanca et Nador dépasseront chacune les dix milliards de dirhams, hors coûts d’exploitation et de maintenance. Un pari industriel majeur donc, mais aussi un signal politique : celui d’un État qui refuse de subir la crise climatique.

Mais ces mégaprojets soulèvent aussi des interrogations. D’abord, la soutenabilité environnementale. Même si les stations seront alimentées en grande partie par des énergies renouvelables – solaire et éolien – la gestion des rejets de saumure, salée et chaude, reste un défi. L’impact sur les écosystèmes marins n’est pas neutre, et le Maroc devra adopter des normes strictes pour éviter un effet boomerang écologique.

Ensuite, la question de l’acceptabilité sociale. Le coût de production de l’eau désalinisée est élevé, et il reste à savoir si les tarifs de distribution seront revus à la hausse, en particulier pour les ménages. Le dilemme est classique : garantir l’accès universel à l’eau tout en rentabilisant les investissements publics. Or, dans des villes comme Casablanca, où les inégalités sont criantes, un tarif trop élevé pourrait accentuer la fracture hydrique.

Enfin, il y a le risque de surdépendance. En investissant massivement dans le dessalement, le Maroc parie sur la stabilité des ressources technologiques, des approvisionnements en pièces, et de la performance des infrastructures. Une panne ou une cyberattaque pourrait paralyser l’approvisionnement d’une mégapole entière.

Pour l’heure, Casablanca et Nador incarnent l’avenir de la gestion de l’eau au Maroc : audace, innovation, anticipation. Mais l’ampleur même de ces projets impose une vigilance continue, pour que la solution à un problème ne devienne pas elle-même une source de vulnérabilité.





Jeudi 26 Juin 2025
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