Chronique – Peut-on informer sans opiner ?


Rédigé par le Lundi 14 Juillet 2025



Dans l’ère des certitudes tonitruantes, des prises de position en rafale et des clashs viraux, une question mérite qu’on s’y attarde : une rédaction peut-elle encore faire du journalisme d’information sans sombrer dans l’opinion ? Autrement dit, est-il encore possible de raconter le monde sans chercher à le juger ?

La tentation est grande de répondre par un oui naïf ou un non désabusé. Mais la réalité est plus nuancée. Car derrière cette interrogation se cache une tension ancienne, presque constitutive du métier de journaliste : celle qui oppose le devoir de relater aux envies d’interpréter.

Le journalisme d’information, dans son essence, repose sur une promesse : donner à voir la réalité, sans la déformer. C’est le contrat tacite entre une rédaction et ses lecteurs. On s’attend à ce qu’on nous raconte ce qui se passe, pas ce qu’il faut en penser.

Des agences comme l’AFP, Reuters ou MAP au Maroc incarnent cette ligne de conduite. Elles publient des dépêches brèves, neutres, factuelles. Pas d’adjectifs de trop, pas de jugements. Juste l’événement, sa chronologie, ses sources. Ce modèle fonctionne. Il est même vital, car il constitue la base sur laquelle chacun peut construire sa propre opinion.

Mais à mesure que le monde devient plus complexe, la neutralité semble parfois une posture timide, voire coupable. Peut-on vraiment parler d’un conflit, d’une injustice ou d’un scandale politique sans prendre position ? Ne pas dire ce qu’on pense, n’est-ce pas, parfois, une forme de lâcheté éditoriale ?

C’est là que le journalisme d’opinion entre en scène. Editorialistes, chroniqueurs, analystes s’emploient à donner du sens, à mettre en perspective, à défendre une vision du monde. Et les lecteurs en redemandent. Parce que l’objectivité pure peut paraître froide. Parce que le réel ne parle pas de lui-même. Parce qu’un monde d’infos sans angles serait un labyrinthe sans sortie.

Dans la pratique, rares sont les rédactions qui parviennent à séparer clairement information et opinion. Les frontières se brouillent, les formats se mélangent. Un reportage peut glisser une tournure subjective. Un titre peut orienter la perception. Une sélection d’experts peut trahir une ligne idéologique. L’objectivité devient alors une illusion de façade, voire un argument de marketing.

Et pourtant, il est possible – et souhaitable – de résister à cette dérive. Des rédactions choisissent encore de ne pas commenter l’actualité, de se concentrer sur les faits, les chiffres, les témoignages, la vérification. Elles laissent aux lecteurs le soin de réfléchir, de débattre, de se positionner. Non par frilosité, mais par respect.

Ne pas faire d’opinion ne veut pas dire être passif. Il y a une forme d’éthique dans la sobriété. Dans le refus de manipuler. Dans la capacité à éclairer sans éblouir. Dans le courage de dire "voici ce que nous savons" au lieu de "voici ce que nous pensons".

Mais l’époque est à l’engagement. À la viralité. À l’instantané. L’audience ne se contente plus de faits : elle réclame des positions, des colères, des prises de risque. Le journalisme d’opinion répond à cette attente. Il anime les débats, façonne les esprits, aiguise les convictions. Il est légitime, tant qu’il reste assumé comme tel.

Alors, peut-on encore informer sans opiner ? Oui. Mais c’est un art discret, exigeant. Un équilibre à trouver entre rigueur professionnelle et exigence citoyenne. Le monde a besoin de journalistes qui racontent, et d’autres qui analysent. Mais à condition que chacun sache où il se trouve. Et que le lecteur ne soit jamais dupe.

Car l’enjeu n’est pas de choisir entre information et opinion. L’enjeu est de ne pas les confondre.




Lundi 14 Juillet 2025
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