Chronique d’un polytechnicien sur le mouvement Gen Z 212

Par un ingénieur du réel égaré dans le plan complexe du social


Rédigé par le Jeudi 9 Octobre 2025

Chaque fois qu’on demande quelque chose à un polytechnicien, il ne répond jamais vraiment… il modélise.
Par réflexe pavlovien, il transforme le monde en équations : une émotion devient un système à deux variables, un conflit se résout par optimisation, et même l’amour finit en dérivée seconde.
Tu lui parles de génération, il te parle de module et d’argument. Tu évoques un mouvement social, il trace un plan complexe. Pour lui, rien n’est flou : tout est mesurable, calculable, symétrisable.

Le drame – ou le charme – des polytechniciens, c’est qu’ils croient encore que l’univers a une solution analytique.



Il était une fois une équation. Une génération entière, qu’on croyait désordonnée, s’y aligne pourtant avec une précision d’oscilloscope. Appelons-la : Z = a + i b

Où a mesure la force du réel – le travail, le logement, le quotidien – et b capture l’imaginaire – les rêves, les colères, les utopies partagées sur TikTok à 2 heures du matin.

Depuis les manifestations de la Gen Z 212 au Maroc, tout observateur rationnel se retrouve contraint de sortir la règle et le compas. Ce n’est pas une foule, c’est un vecteur. Et il faut parler leur langue : la trigonométrie du sens.

Le module : |Z| = √(a² + b²)

Dans ce mouvement, la force n’est jamais linéaire. Ce n’est pas a ou b, c’est la combinaison des deux. Plus la colère est concrète (a fort) et plus le rêve est élevé (b grand), plus l’amplitude du mouvement croît.

Les décideurs ont longtemps cru que rêver affaiblissait la rigueur. Erreur de signe : c’est une addition vectorielle. Leur génération a produit des ingénieurs qui calculent l’efficience, la Gen Z produit des créateurs qui la piratent.

​L’argument : θ = arctan(b/a)

L’angle de tir entre le réel et l’imaginaire. Quand θ → 0, on rampe à l’horizontale, résignés : salaire, crédit, métro. Quand θ → 90°, on plane : grands discours, peu d’action.

La Gen Z 212, elle, navigue autour de 45°. Elle a les pieds dans le bitume et la tête dans le cloud. Ce n’est pas une fuite, c’est une orientation. Les slogans s’écrivent en stories, les revendications se codent en filtres. On les accuse de désordre ; en réalité, ils tracent une diagonale.

​Le conjugué : Z̄ = a − i b

Les institutions préfèrent souvent Z̄. Elles retirent l’imaginaire du réel, gardent le rendement, élaguent la poésie. L’entreprise, l’administration, la politique classique : toutes ces structures fonctionnent sur Z̄ – le monde sans rêve, sans bruit, sans hasard.

Mais un système sans imaginaire, c’est une équation sans inconnue : elle se résout trop vite, et meurt aussitôt. Les jeunes, eux, refusent cette linéarisation. Ils gardent l’imaginaire en facteur commun.

​Euler et la rotation permanente : e^(iθ) = cos θ + i sin θ

La Gen Z est un phénomène oscillatoire. Elle ne se stabilise pas, elle pivote. Une idée par jour, un canal par semaine, une cause par mois. Les systèmes hiérarchiques, eux, aiment les valeurs fixes ; ils mesurent en inertie ce que la Gen Z mesure en fréquence.

Cette rotation n’est pas du chaos : c’est un mode de régulation. Elle teste, ajuste, recommence – comme une itération d’algorithme agile appliquée à la société.

​Z ≠ 0

Voilà la seule certitude mathématique de cette chronique.
Z n’est pas nul. Même lorsqu’ils doutent, même dans la précarité, ces jeunes existent dans le plan complexe, avec magnitude et direction. Ils refusent l’annulation symbolique – ce regard paternaliste qui dit : « Ils finiront par rentrer dans le rang ».
Non. Ils ont inventé leur propre repère orthonormé, où le réel et le rêve ne s’opposent plus mais s’alimentent.

Erreur de catégorie

Le danger, c’est de vouloir simplifier Z en ℝ, le ramener à une seule dimension : le pouvoir d’achat, la productivité, la conformité. C’est perdre l’information de phase, celle qui donne le mouvement.

Réduire Z à a, c’est tuer b – et avec lui, la partie la plus vivante de la société.

Alors oui, la Gen Z 212 dérange, fait du bruit, parle en mèmes et en sarcasmes. Mais d’un point de vue mathématique, c’est la meilleure preuve de vitalité : une fonction dérivable, oscillante, non nulle.
Tant que Z ≠ 0, le Maroc reste dans le plan complexe du devenir.

Les anciens calculent les bilans, les jeunes tracent les vecteurs. Et le futur, lui, s’écrit toujours en coordonnées imaginaires.




Jeudi 9 Octobre 2025
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