Cognition, complexité, incertitude et système – Quand la matière pense et que la pensée se quantifie : vers l’intelligence quantique


Par Dr Az-Eddine Bennani

La mécanique quantique, née au début du XXᵉ siècle avec Planck, Einstein, Schrödinger et Heisenberg, a bouleversé notre manière de comprendre la matière. Elle a introduit une logique paradoxale : les particules sont à la fois ondes et corpuscules, le réel est probabiliste, et l’observation modifie ce qui est observé.
Aujourd’hui, les travaux de John Clarke, John Martinis et Michel Devoret, récompensés par le Prix Nobel de physique 2025, ont franchi un pas décisif : ils ont montré que ces comportements étranges pouvaient exister à l’échelle macroscopique, dans des circuits électriques conçus pour manifester l’effet tunnel quantique et la quantification de l’énergie.



Ce passage du micro au macro inaugure une ère nouvelle :

Celle où la pensée quantique et bientôt l’intelligence quantique devient une réalité physique, technologique et cognitive. L’intelligence artificielle (IA) s’appuie sur des architectures mathématiques déterministes : réseaux neuronaux, fonctions d’activation, optimisation, apprentissage par renforcement. L’intelligence quantique (IQ), elle, naît d’une logique de superposition et d’interférence : un système n’est pas dans un état unique, mais dans un ensemble de possibles, et c’est l’acte de mesure ou de décision qui en réduit la complexité. Ainsi, la pensée quantique offre un cadre où l’incertitude n’est plus un défaut, mais une ressource. L’intelligence émerge de la cohérence des possibles, non de leur élimination.

L’intelligence quantique ne « calcule » pas au sens classique :

Elle explore simultanément plusieurs états du réel, puis choisit celui qui maximise la cohérence globale du système. Elle se rapproche de ce que j’appelle dans mes travaux le paradigme systémique IA : une intelligence du lien, capable de relier l’incertain, le complexe et l’humain.
Dans ce cadre :

- La superposition devient une métaphore de la diversité cognitive ;
- L’intrication illustre la connexion systémique entre acteurs, données et environnements ;
- Le tunnel quantique représente la capacité de franchir des barrières conceptuelles ou organisationnelles que la logique classique jugerait infranchissables.

Ainsi, l’intelligence quantique n’est pas seulement une technologie : c’est une nouvelle ontologie du savoir et de l’action.
- Calcul quantique : exploiter les qubits pour résoudre en quelques secondes des problèmes qui prendraient des millénaires à un ordinateur classique.
- Capteurs quantiques : mesurer des variations infimes de gravité, de champ magnétique ou de température pour la médecine, l’environnement et la défense.
- Cryptographie quantique : sécuriser les communications par l’inviolabilité des états superposés.
- IA quantique : accélérer l’apprentissage profond et le raisonnement adaptatif grâce à la superposition et à l’intrication des poids de réseau.

Mais au-delà de ces usages, l’enjeu majeur est épistémologique :

La physique quantique réintroduit le sujet dans la connaissance du monde. L’intelligence quantique réintroduit la conscience dans la connaissance de la machine. L’intelligence quantique nous apprend que le réel n’est pas univoque. Elle nous invite à penser le monde comme un ensemble de possibles interconnectés, où la connaissance consiste à créer de la cohérence entre ces possibles.

C’est une rupture fondamentale avec la pensée mécaniste : l’intelligence n’est plus réduction, mais art de la correspondance. C’est aussi le prolongement de ce que j’appelle le paradigme systémique IA : un cadre où l’organisation humaine, le système technique et le monde naturel ne s’opposent pas, mais s’auto-structurent dans une logique de résonance. L’intelligence humaine est intuitive et symbolique. L’intelligence artificielle est computationnelle. L’intelligence quantique est relationnelle.

L’avenir sera celui de leur interaction :

Des systèmes où la cognition humaine dialoguera avec la puissance de calcul classique et la plasticité du monde quantique. C’est l’horizon de la co-intelligence : penser, modéliser et agir avec des systèmes qui comprennent la complexité sans la réduire. L’intelligence quantique représente la troisième révolution cognitive après celle du numérique et de l’intelligence artificielle.

Elle ne se limite pas à une rupture technologique, mais ouvre un champ de réflexion inédit sur la souveraineté cognitive : qui comprend, maîtrise et oriente la connaissance dans un univers où le réel lui-même devient incertain ? C’est là que le Maroc, la France et l’Afrique peuvent jouer un rôle original : en développant une éthique et une pédagogie de la complexité, fondées sur l’équilibre entre savoir, croyance et incertitude constructive.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Mercredi 8 Octobre 2025

Dans la même rubrique :