Exportations : un souffle porté par les phosphates, un essoufflement ailleurs
Selon le dernier bulletin mensuel de l’Office des Changes, les exportations du Maroc atteignent 385,2 milliards de dirhams à fin octobre 2025, soit + 2,6 % par rapport à la même période en 2024.
Une progression modérée, mais qui cache des trajectoires sectorielles très différentes.
Le moteur le plus solide reste, une nouvelle fois, le complexe phosphatier. Porté par la demande internationale et une conjoncture de prix plus favorable que l’an dernier, le segment enregistre une hausse significative. Les engrais naturels et chimiques, les phosphates bruts ainsi que l’acide phosphorique affichent tous des niveaux supérieurs à ceux de 2024.
Dans un contexte mondial encore instable, cette performance confirme le rôle stratégique des métiers du phosphate : un amortisseur naturel des tensions économiques, mais aussi un rappel de la forte dépendance du pays à ce secteur.
Les exportations aéronautiques poursuivent également leur trajectoire positive, confirmant la montée en gamme de l’écosystème national. Les segments assemblage et EWIS affichent une progression robuste, preuve que les investissements de long terme dans l’industrie aéronautique continuent de produire leurs effets.
En revanche, le tableau est moins flatteur pour plusieurs industries manufacturières.
Le secteur automobile, pourtant pilier des exportations marocaines, enregistre un recul notable sur la période. Le segment construction baisse, malgré une meilleure tenue du câblage et des intérieurs véhicules. Une dynamique qui reflète les tensions observées sur plusieurs marchés européens, et qui pèse sur l’ensemble de l’écosystème.
Le textile poursuit son repli, affecté par une demande extérieure plus faible. Même tendance du côté de l’électronique, où la chute des composants tire les indicateurs vers le bas.
Ces contre-performances rappellent une réalité : la diversification des exportations marocaines progresse, mais elle reste vulnérable aux cycles internationaux et à la conjoncture des partenaires traditionnels.
Importations : une hausse généralisée qui alourdit le déficit
Face à ces exportations modérées, les importations accélèrent nettement.
Elles atteignent 682,2 milliards de dirhams à fin octobre 2025, en hausse de 9,4 % sur un an.
Cette progression est tirée par plusieurs catégories :
Produits finis d’équipement : hausse alimentée par l’achat d’avions, de pièces aéronautiques et d’intrants industriels.
Produits finis de consommation : forte dynamique portée par les importations de voitures de tourisme et de produits pharmaceutiques.
Produits bruts : envolée notable du soufre brut et de l’huile de soja, deux intrants essentiels pour l’industrie.
Produits alimentaires : hausse modérée, malgré le recul de la facture blé.
Dans cet environnement où presque toutes les catégories importées progressent, le seul véritable soulagement est la facture énergétique, qui se replie de 4,4 % grâce à la baisse des cours du gasoil et du fuel à l’international. Une respiration bienvenue, mais insuffisante pour compenser l’explosion des autres postes d’achat.
Résultat mécanique : le déficit commercial s’élargit fortement.
À fin octobre 2025, il atteint 296,95 milliards de dirhams, soit + 19,6 % sur un an.
Le taux de couverture, lui, perd plusieurs points pour tomber à 56,5 %.
C’est l’un des niveaux les plus bas de ces dernières années, un signal qui interroge autant la résilience de la demande intérieure que la capacité des exportations à reprendre un rythme plus soutenu.
Une lecture plus large : entre résilience sectorielle et vulnérabilités structurelles
Ce tableau du commerce extérieur marocain en 2025 raconte une économie qui tient, mais qui peine à retrouver l’équilibre.
Le pays continue de bénéficier de ses points forts phosphates, industries aéronautiques, agriculture performante mais les faiblesses structurelles persistent : dépendance aux importations de biens d’équipement, sensibilité aux prix internationaux des matières premières, pressions sur les industries destinées aux marchés européens.
Pour de nombreux analystes, la situation actuelle rappelle la nécessité d’un rééquilibrage durable : plus de montée en gamme industrielle, davantage de valeur ajoutée locale, et surtout une stratégie exportatrice moins concentrée sur quelques marchés.
En somme, derrière les chiffres, l’économie marocaine avance sur une ligne de crête : assez solide pour encaisser les chocs, mais pas encore assez diversifiée pour s’en affranchir. Le défi est connu, répété, documenté. Reste désormais à voir si 2026 offrira enfin le souffle nécessaire pour inverser la tendance.
Pourquoi ce déséquilibre persiste
Plusieurs facteurs expliquent cette divergence persistante entre importations et exportations — et beaucoup dépassent le simple cadre sectoriel.
La structure des importations : de nombreux biens importés sont des produits finis ou d’équipement — automobiles, machines, consommation, intrants industriels — qui répondent à une demande interne forte, mais peu substituable localement. Dans ce contexte, même un bon niveau d’exportation ne suffit pas à compenser la facture extérieure.
La dépendance à des biens intermédiaires ou énergétiques : certains segments de l’économie marocaine continuent d’importer des matières premières ou de l’énergie, ce qui rend la balance vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux. Le recul de secteurs d’exportation traditionnels : l’Industrie automobile souffre toujours baisse des ventes à l’export et ralentissement de la demande mondiale, ce qui pèsera sur la performance globale.
Enfin, le Maroc reste soumis à des dynamiques externes : prix des matières premières, concurrence internationale, changements dans les chaînes logistiques mondiales… Autant de variables qui compliquent la tâche de maintenir un équilibre durable.
Entre signaux encourageants et défis structurels
Le contraste est saisissant. D’un côté, des réussites sectorielles phosphates, aéronautique, métallurgie qui montrent que l’économie marocaine sait encore créer et exporter de la valeur. De l’autre, un déficit commercial dramatique qui s’aggrave, menaçant la stabilité de la balance des paiements.
Pour inverser la tendance, le Maroc devra sans doute agir sur plusieurs leviers : encourager davantage la transformation locale des ressources exportées (par exemple, valoriser le phosphate plutôt qu’exporter le brut), développer des industries exportatrices plus diversifiées, renforcer la compétitivité interne pour réduire la dépendance aux importations, et s’inscrire dans des politiques industrielles et de soutien au local.
Mais c’est un pari long, complexe, qui implique des choix stratégiques, des investissements, et une vision claire — pas seulement sectorielle, mais macroéconomique.
Une invitation à repenser le modèle exportateur
Ce que révèle 2025, c’est un Maroc à la croisée des chemins. Les bons résultats de certaines filières prouvent que le pays a des atouts mais le déséquilibre croissant des échanges extérieurs montre aussi les limites d’un modèle trop dépendant des importations et de quelques secteurs d’exportation.
Pour la nouvelle génération, pour les entrepreneurs, les décideurs, les citoyens c’est un signal clair : il faut imaginer et bâtir un Maroc capable de produire, d’innover, de transformer, et de s’engager dans une économie moins vulnérable, plus autonome, plus durable.
Le commerce extérieur 2025 nous offre un miroir. À nous de décider ce que nous voulons en faire.