Conseil national de la presse : une salve d’amendements à la Chambre des représentants


Rédigé par Hajar DEHANE le Mardi 22 Juillet 2025

Le projet de loi n° 25.26 relatif au Conseil national de la presse (CNP) a suscité une vague d’amendements lors de son examen à la Chambre des représentants. Derrière l’apparente technicité de ces modifications se dessine en réalité une reconfiguration substantielle des mécanismes de régulation du secteur médiatique au Maroc. Qu’il s’agisse de la composition et du fonctionnement du Conseil, de l’élargissement de ses missions ou du renforcement de ses garanties d’indépendance, les groupes parlementaires, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, ont déposé plus d’une trentaine de propositions visant à affiner l’architecture institutionnelle du CNP. Voici les principaux ajustements à retenir.



Pour commencer :

L’intitulé même du projet de loi a suscité une première série d’amendements à forte portée symbolique. La version initiale faisait référence à une « réorganisation » du CNP, plusieurs groupes parlementaires, notamment le PJD et l’USFP, ayant proposé de le simplifier en le désignant uniquement sous l’appellation « Conseil national de la presse », le contenu du texte étant jugé excéder la seule logique organisationnelle. Cette querelle sémantique, en réalité, visait à repositionner le CNP non comme un simple organe administratif à restructurer, mais comme un acteur stratégique au cœur d’une vision renouvelée de la gouvernance médiatique.


​Vers une définition élargie des acteurs de la presse

Les amendements proposés à l’article premier ont marqué une inflexion substantielle dans la qualification juridique des acteurs du secteur médiatique. Prévue à la demande de plusieurs parties prenantes, l’introduction explicite de la notion de journaliste professionnel par référence au Dahir n° 1.16.122 portant loi 89‑13, l’élévation de la carte de presse professionnelle en critère légal de reconnaissance ainsi que l’intégration des organisations syndicales aux côtés des structures professionnelles d’éditeurs ont été envisagées, cette réécriture visant à consacrer au rang législatif la diversité des statuts journalistiques tout en prévenant toute interprétation réservant la protection de la loi aux seuls éditeurs.

​Une autonomie juridique et fonctionnelle renforcée

Dans le prolongement de cette volonté de reconnaître la pluralité des statuts journalistiques et d’éviter une lecture restrictive au profit des seuls éditeurs, un amendement déterminant porte sur le renforcement du statut juridique du CNP. Alors que la version initiale du texte se limitait à lui conférer la personnalité morale et l’autonomie financière, les parlementaires ont jugé nécessaire de consolider son assise institutionnelle en le qualifiant expressément d’« institution indépendante » au sens de la Constitution.

Ils ont, en outre, complété le dispositif en consacrant une autonomie administrative venant s’ajouter à l’autonomie financière. Par cette double précision, le législateur entend prémunir le Conseil contre toute forme d’ingérence du pouvoir exécutif, notamment dans l’exercice de ses fonctions disciplinaires ou dans la procédure de délivrance des cartes professionnelles, consacrant ainsi une véritable garantie d’indépendance fonctionnelle et organique.

​Les missions du Conseil redéfinies et élargies

Dans cette même logique de consolidation institutionnelle, l’article 3 du projet de loi relatif aux missions du CNP a fait l’objet d’amendements substantiels. Outre ses attributions classiques consistant à délivrer les cartes professionnelles, à assurer la médiation et à veiller au respect de la déontologie, les parlementaires ont élargi son champ d’intervention en lui confiant de nouvelles prérogatives.

Il s’agit notamment d’assurer un suivi régulier de la liberté de la presse assorti de rapports annuels publics, de développer des partenariats nationaux et internationaux en matière d’échange d’expertise, d’organiser ou de soutenir la formation continue des journalistes en articulation avec la loi n° 60-17, ainsi que d’émettre un avis consultatif sur tout projet de loi ou de décret relatif à la profession dans un délai maximal de trente jours. Par ces ajouts, le Conseil se voit doté d’une influence accrue sur la régulation de l’espace médiatique et d’une capacité renforcée à anticiper et accompagner les mutations technologiques et normatives du secteur.


​Renforcement du volet disciplinaire et clarification des procédures

L’un des points les plus sensibles du texte porte sur l’étendue du pouvoir disciplinaire du Conseil. Plusieurs amendements ont été proposés afin d’en préciser le cadre et d’en prévenir tout risque d’arbitraire. Ils visent ainsi à définir de manière claire et exhaustive les infractions aux règles déontologiques susceptibles de justifier une saisine, à encadrer les décisions disciplinaires par une validation en séance plénière du Conseil ou, le cas échéant, par une instance d’appel, et à garantir pleinement le droit à la défense des journalistes et des éditeurs concernés. Par ces mécanismes, le législateur entend concilier l’exigence de rigueur déontologique avec le respect des droits fondamentaux des professionnels du secteur.


​Le rapport annuel du Conseil : vers plus de transparence

Dans la continuité des débats sur la transparence et la redevabilité, l’article 4 du projet de loi, qui prévoit la publication d’un rapport annuel du Conseil, a fait l’objet de propositions d’amendements visant à en renforcer la portée. Il est ainsi prévu que ce rapport comporte un relevé précis des violations constatées en matière de liberté de la presse, qu’il soit publié au Bulletin officiel à l’instar des rapports émanant d’autres institutions constitutionnelles, et qu’il soit transmis au Chef du gouvernement ainsi qu’aux autorités concernées.

Son élaboration devra, en outre, associer de manière paritaire les représentants des journalistes et ceux des éditeurs afin d’en garantir la crédibilité. Ces mesures tendent à faire du rapport annuel non seulement un instrument de plaidoyer institutionnel, mais également une référence pour la société civile et les acteurs du secteur médiatique.

​Une gouvernance interne plus participative

Enfin, plusieurs amendements portent sur la gouvernance du Conseil afin d’en renforcer la légitimité et l’efficacité. Il est ainsi proposé que les décisions structurantes, telles que l’adoption du règlement intérieur ou de la charte éthique, soient validées par l’assemblée plénière du Conseil, que la composition des commissions internes garantisse un équilibre entre les différentes familles professionnelles, et que des antennes régionales puissent être créées afin d’assurer une couverture nationale de ses activités. Cette démarche vise à rapprocher l’action du Conseil des réalités territoriales tout en consolidant sa représentativité et sa capacité d’intervention sur l’ensemble du territoire.

​Vers une nouvelle ère pour la régulation de la presse ?

La diversité des amendements proposés illustre non seulement l’intérêt manifeste que suscite ce projet de loi, mais également la pluralité des sensibilités et des enjeux qui traversent le champ médiatique marocain. Le Conseil national de la presse, institution encore récente dans l’architecture juridique nationale, se trouve ainsi investi d’une vocation centrale dans l’édification d’un journalisme éthique, indépendant et orienté vers la préservation de l’intérêt général.

Dans un contexte marqué par la prolifération des fausses informations, l’irruption de l’intelligence artificielle générative et la fragilisation des conditions d’exercice de la profession, ces ajustements normatifs apparaissent comme une tentative de doter le Conseil des instruments nécessaires à une régulation véritablement moderne, pluraliste et conforme aux principes consacrés par la Constitution.

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Mardi 22 Juillet 2025
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