Dans la vie, il faut parfois savoir fermer les yeux.




Par Bargach Larbi

La décision d'interpeller les jeunes de la GENZ212 juste parce qu'ils n'avaient pas déposé une demande préalable de manifester est une erreur qui est en train de se transformer en faute. Ceux qui l'ont prise portent une grande responsabilité dans les débordements actuels et la violence qui s'exprime dans plusieurs petites villes du pays. Ce n'était pas le moment d'appliquer la loi avec une telle rigueur.

La révolte des jeunes aurait mérité une qualité d'écoute qu'on leur a refusée. Au lieu d’interpeller les jeunes qui s’exprimaient sur les pages de youtubeurs, il aurait fallu leur tendre les micros des chaînes nationales, Al Oula, 2M et Médi1TV.

Au lieu de fournir au monde le spectacle désastreux des arrestations de papas portant leurs enfants, il fallait donner l’image d’une jeunesse responsable. Pourtant, on ne peut pas dire qu'on ne savait pas qu'ils allaient sortir.

Tout était programmé sur les réseaux sociaux et accessible pour les professionnels de la sécurité. On ne peut pas dire non plus qu’on ne sait pas gérer des manifestations. Toutes celles organisées en solidarité avec les populations de Gaza se sont déroulées avec civisme et discipline.

Les revendications des jeunes sont toutes légitimes et tous les responsables en conviennent. La santé et l’éducation posent problème au Maroc, la justice aussi, mais cette dernière revendication n’a pas vraiment été mise en avant.

Pourtant, c’est une priorité qu’il faudra anticiper avant qu’il ne soit trop tard. Et trop tard, on y est peut-être déjà.

L’élément déclencheur de toute cette vague de contestation est paradoxalement l’organisation par le Maroc de la Coupe du Monde en 2030. Ce qui aurait dû être une fierté pour l’ensemble des Marocains, un catalyseur d’énergie positive, risque de se transformer en boulet si rien n’est fait.

L’incroyable efficacité de nos entreprises et leurs performances dans la construction des infrastructures sportives, les projets d’amélioration des transports urbains et interurbains, l’embellissement de toutes les villes marocaines, les chantiers et investissements en hôtellerie-restauration sont transparents pour les jeunes Marocains. Un déficit de communication ?

Certainement. Une manipulation étrangère, comme semble le suggérer un grand nombre de commentateurs ? Peut-être, parce que lorsque la rivalité est stérile, les belligérants se délectent des malheurs de leurs adversaires et c’est valable des deux côtés, si vous voulez bien suivre mon regard. Ce n’est certainement pas suffisant comme explication. Il y en a d’autres qu’il nous appartient de comprendre et d’analyser.

Le gouvernement semble hors-jeu, et c’est dommage parce qu’il ne manque pas de compétences malgré quelques erreurs flagrantes de casting. L’opposition est hors sol, et des deux côtés de l’échiquier.

À l’extrême droite, Monsieur Benkirane, ancien Premier ministre, est systématiquement confronté à ses anciennes vidéos chaque fois qu’il prend la parole. Ses contradictions régalent ceux qui les visionnent. À l’autre extrémité, Madame Mounib s’est totalement décrédibilisée lors d’un échange avec un jeune manifestant. Celui-ci expliquait, à l’égérie de l’extrême gauche marocaine, que les revendications portées par la jeunesse étaient essentiellement sociales et non politiques, exprimant son espoir que le mouvement qu’elle représente ne profite pas de la situation.

L’expérience de la récupération qui a été faite pour le mouvement du 20 février est dans toutes les mémoires. À cette observation, la réponse de Nabila Mounib fut d’une telle extravagance qu’elle mérite d’être rapportée textuellement : « Nous sommes des chouhadas et nous soutenons ce mouvement, la preuve, nous sommes là. » Elle n’a manifestement rien compris.

On a suffisamment expliqué que l’organisation de la Coupe du Monde est une occasion de mise à niveau de toutes les infrastructures, notamment hospitalières, hôtelières et routières. On a également conscience que le projet de refonte du système éducatif est en cours.

Des classes pilotes sont lancées dans tout le royaume et donnent des résultats appréciables avant généralisation. Les réformes sur ce sujet prennent du temps, demandent de la patience et de la pédagogie. C’est pour ça que l’on peut objectivement considérer que la santé, l’éducation et la Coupe du Monde ne sont que des prétextes et que le problème est ailleurs.

En effet, à titre d’exemple, personne n’arrive à expliquer la brutalité mise en œuvre lors des expropriations pour intérêt public de propriétés liées à la Coupe du Monde. Leur brutalité et le retard qui est pris dans l’indemnisation des victimes sont inexplicables. Des habitants sont délocalisés et voient leur situation se dégrader socialement sans recours administratif. Ils habitaient dans des demeures de trois étages, construites illégalement avec la complicité de fonctionnaires véreux, et se retrouvent dans des trois-pièces à des dizaines de kilomètres de leur habitat historique.

Non seulement l’indemnisation qui leur est proposée ne couvre pas leurs dépenses, mais ils sont les seuls à être punis, et ceux qui exécutent leurs peines sont souvent les mêmes que ceux qui les ont autorisés à construire illégalement. Beaucoup de leurs enfants manifestent.

La Coupe du Monde a bon dos, mais elle est indirectement responsable de leurs malheurs ; en tous cas, c’est leur ressenti. C’est un exemple parmi des milliers. Il faudra en tenir compte. La politique bulldozer fait avancer les projets, mais recule l’objectif principal : celui de mobiliser l’ensemble des Marocains autour de la création de richesse, de sa correcte redistribution et de la lutte obligatoire contre une société à deux vitesses.

Bargach Larbi


Mercredi 1 Octobre 2025

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