De Lawrence d’Arabie à Tony Blair : le retour des faux sauveurs ?


Rédigé par le Samedi 27 Septembre 2025

L’idée de confier à Tony Blair la direction d’une autorité de transition pour Gaza, présentée comme une solution pragmatique dans un plan soutenu par Donald Trump, ravive d’anciennes blessures. Derrière la façade diplomatique, c’est toute l’histoire des ingérences étrangères au Moyen-Orient qui ressurgit, avec en filigrane une question lancinante : peut-on reconstruire Gaza sans redonner la parole aux Palestiniens eux-mêmes ?



La nomination éventuelle de Tony Blair n’est pas une simple anecdote diplomatique. C’est un geste symbolique lourd de mémoire et de conséquences. Blair n’est pas un technocrate neutre, c’est l’homme du “Yes” à George W. Bush en 2003, lorsque Londres et Washington ont plongé l’Irak dans le chaos sous prétexte d’armes de destruction massive jamais retrouvées. Pour une grande partie de l’opinion publique arabe, il reste l’architecte complice d’une guerre injuste, coûteuse en vies humaines et dévastatrice pour la stabilité régionale.

Ce passé, indissociable de sa personne, rend son rôle à Gaza difficilement audible. Comme le souligne un ancien diplomate arabe rencontré récemment à Rabat : « On ne peut pas prétendre panser une plaie avec la même main qui a ouvert la blessure. »

L’histoire de Gaza est traversée par une constante : la mise sous tutelle. De l’administration égyptienne (1948-1967) à l’occupation israélienne, en passant par les multiples interventions internationales, jamais ce territoire exigu n’a vraiment eu la pleine maîtrise de son destin.

Désigner un responsable occidental, qui plus est marqué par des décisions militaires controversées, revient à prolonger une logique d’administration étrangère. Cela risque de renforcer le sentiment, déjà très ancré, que Gaza est une zone “gérée” de l’extérieur, plutôt qu’un espace où s’exprime une souveraineté palestinienne authentique.

La comparaison historique s’impose : Lawrence d’Arabie avait promis l’indépendance aux Arabes tout en servant, in fine, les intérêts de la Couronne britannique. Tony Blair ne serait-il pas la réédition moderne de cette figure ambiguë, entre médiateur et instrument d’une logique de puissance ?

Impossible de dissocier ce débat du rôle historique du Royaume-Uni. Le mandat britannique en Palestine (1920-1948) a préparé le terrain à la crise actuelle, notamment à travers la Déclaration Balfour de 1917, qui promettait un “foyer national juif” sans consulter les habitants arabes de la région.

L’ombre de cette décision plane toujours. Pour beaucoup, la désignation de Blair réactive une continuité idéologique : celle d’un Occident qui décide pour les autres au nom de la stabilité, mais au détriment de la souveraineté locale.

La méfiance est donc naturelle. Les Palestiniens connaissent trop bien ce scénario : derrière les promesses de paix se cache souvent une gestion paternaliste, sinon une reproduction des logiques coloniales.

Certains diplomates voient en Tony Blair un atout. Ancien envoyé spécial du Quartette pour le Proche-Orient (2007-2015), il connaît intimement le dossier israélo-palestinien. Son carnet d’adresses, de Washington à Tel-Aviv en passant par Doha, est impressionnant.

Un diplomate européen confiait récemment : « Peu de personnalités ont aujourd’hui la capacité de décrocher leur téléphone et d’obtenir immédiatement une ligne directe avec les décideurs des deux camps. » Dans un contexte d’urgence humanitaire, cette capacité de médiation rapide peut s’avérer cruciale.

Ses partisans ajoutent que Blair, malgré son image abîmée, a acquis une expérience rare dans la reconstruction post-conflit. Son pragmatisme pourrait offrir un cadre temporaire de gestion, en attendant qu’émerge une gouvernance locale solide.

Le vrai débat n’est pas seulement le nom de Blair. Il est dans la méthode. Une transition internationale peut être utile si elle se construit avec, et non contre, les dynamiques locales.

Cela suppose de donner une place centrale aux acteurs palestiniens : autorités élues, société civile, jeunes leaders émergents. Les ignorer reviendrait à répéter les erreurs du passé. Comme le rappelle un professeur de science politique à l’Université de Birzeit : « Chaque fois que l’on a tenté de sauter l’étape de la légitimité locale, on a préparé le terrain pour de nouvelles violences. »

Pour éviter ce piège, il est impératif que toute transition s’inscrive dans un cadre multilatéral équilibré. L’ONU, l’Union africaine, la Ligue arabe, mais aussi des pays du Sud global – y compris le Maroc pourquoi pas si la diplomatie Marocaine pense que les conditions sont existantes– doivent y jouer un rôle actif.

Le Maroc, par son expérience en médiation régionale et sa politique étrangère basée sur l’équilibre et le dialogue, peut apporter une voix crédible. Son engagement constant pour une paix juste et durable en Palestine est reconnu sur la scène internationale. Impliquer Rabat et d’autres capitales arabes dans la réflexion serait un pas vers une transition réellement inclusive.

La tentation d’improviser une “administration modèle” pour Gaza sous direction occidentale ne date pas d’hier. Mais Gaza n’est pas une maquette de laboratoire où l’on teste des scénarios de gouvernance. C’est un territoire habité, meurtri, traversé par une histoire et des aspirations profondes.

Les jeunes Palestiniens, qui représentent plus de la moitié de la population, ne réclament pas un nouveau tuteur international. Ils demandent un avenir où leur voix compte réellement, où leurs dirigeants locaux sont reconnus et respectés.

Continuer à imposer des solutions extérieures, même temporairement, risque d’aggraver le sentiment d’humiliation et de dépendance.

Au fond, la question dépasse Gaza. Elle interroge la manière dont la communauté internationale aborde les conflits : avec un réflexe d’ingérence ou avec une logique de partenariat ?

Le parallèle entre Lawrence d’Arabie et Tony Blair illustre cette continuité : une fascination occidentale pour le rôle du “sauveur” qui, en réalité, ne fait que perpétuer les déséquilibres.

L’avenir de Gaza – et plus largement de la région – dépendra de notre capacité à rompre avec cette logique et à investir enfin dans des solutions ancrées localement.

La paix ne se construit pas dans les salons feutrés de Londres ou de Washington, mais dans les ruelles de Gaza, dans les villages de Cisjordanie, et dans la confiance retrouvée entre voisins.

Tony Blair à Gaza ? L’idée choque autant qu’elle intrigue. Elle met en lumière la fragilité des schémas occidentaux face à la réalité moyen-orientale. Entre le poids du passé et l’urgence du présent, une certitude s’impose : il ne peut y avoir de paix durable sans souveraineté réelle.

À Gaza comme ailleurs, la reconstruction ne pourra réussir que si elle naît des mains de ceux qui y vivent.




Samedi 27 Septembre 2025
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