De VUCA à VUCA² : comprendre le monde devenu artificiel


Rédigé par La Rédaction le Jeudi 24 Avril 2025



Une vulnérabilité systémique dans un monde critique et artificiel

Le sigle VUCA — Volatile, Uncertain, Complex, Ambiguous — était déjà bien connu des stratèges. Mais le rapport stratégique 2024-2025 de l’IRES introduit une version aggravée de ce paradigme : VUCA². Désormais, le monde est Vulnérable, Incertain, Critique, Artificiel. Derrière ce glissement sémantique, une réalité de plus en plus difficile à gouverner.

La vulnérabilité est aujourd’hui structurelle. Qu’il s’agisse du climat, des chaînes logistiques, de la cybersécurité ou des relations géopolitiques, tout semble pouvoir s’effondrer à tout moment. Un virus apparu dans un marché local peut mettre à l’arrêt l’économie mondiale. Une cyberattaque peut paralyser un hôpital. Un canal bloqué, comme celui de Suez, perturbe l’ensemble du commerce mondial. Nous vivons dans un monde interconnecté… donc interdépendant… donc fragile.

Les gouvernances classiques, conçues dans des temps plus stables, sont démunies face à cette nouvelle donne. Elles peinent à anticiper, à s’adapter, à gérer la polycrise. La vulnérabilité n’est plus un état d’exception : elle devient le cadre par défaut.
L’incertitude comme norme

Si la modernité promettait une maîtrise accrue de l’avenir grâce à la science et à la planification, la réalité contemporaine est toute autre. L’incertitude ne vient plus seulement de l’inconnu, mais aussi de l’imprévisible. Nous faisons face à des systèmes non linéaires, à des ruptures technologiques soudaines, à des perceptions contradictoires de la réalité — amplifiées par les réseaux sociaux et la post-vérité.

La conséquence ? L’action publique devient difficile à légitimer. Comment convaincre quand les faits eux-mêmes sont contestés ? Quand l’avenir est opaque, la peur gouverne, et la gouvernance s’effrite.

Le monde est critique : chaque décision a des effets démultipliés, parfois irréversibles. Le rapport évoque les limites planétaires déjà franchies : dérèglement climatique, érosion de la biodiversité, acidification des océans… Ajoutez à cela l’accélération des technologies — intelligence artificielle, métavers, automatisation — et vous obtenez un monde artificiel, où le réel est reconfiguré à travers des filtres algorithmiques, souvent opaques et incontrôlés.

La gouvernance doit donc affronter non seulement des crises « du monde », mais aussi des crises de notre rapport au monde.
Gouverner l’ingouvernable ?

Face à VUCA², la gouvernance doit elle aussi se transformer en version 2.0. Cela passe par l’anticipation des risques, la simulation de scénarios, la co-construction de solutions, et une agilité radicale dans l’action publique. L’enjeu est clair : construire des systèmes adaptatifs, résilients, distribués. Pas seulement décider vite, mais décider bien… en pleine incertitude.

Et si VUCA² n’était qu’un jargon d’experts pour masquer leur impuissance ?

Derrière les acronymes se cache parfois une fuite devant le réel. À force de conceptualiser le chaos, on oublie que l’action politique exige du courage, pas seulement des diagnostics brillants. Le risque, c’est de transformer la gouvernance en science de la complexité, déconnectée des citoyens. Or, l’angoisse d’un monde critique ne se soigne pas avec des modèles, mais avec du lien humain, du sens, et des décisions assumées. VUCA² peut aussi être une excuse pour ne rien faire, ou pour tout déléguer aux machines.




Jeudi 24 Avril 2025
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