Échange de données financières avec les pays d’immigration : À quelle sauce les MRE vont-ils être mangés ?


Avec son inscription à l’ordre du jour du 18 juillet 2023 de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des Représentants , le débat sur les échanges automatiques de renseignements relatifs aux comptes financiers avec les pays de l’OCDE, refait surface au Maroc, suscitant une très vive inquiétude, soulevant à nouveau un vent de panique , voir même instaurant une psychose parmi la communauté des citoyens MRE ayant des comptes bancaires et/ou des biens immobiliers au royaume. Où en est-on dans ce dossier ? Les MRE ont-ils raison de s’inquiéter ?



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Par Abdelkrim Belguendouz Universitaire à Rabat , chercheur en migration

Les responsables du dossier sont à interpeller 

En fait, il faudrait adresser ces questions aux responsables directement concernés au ministère des Finances et aux Affaires étrangères . Il faut prendre acte de cette forte inquiétude , voir du mouvement de panique qui s’est répandue parmi les membres de la communauté marocaine établie à l’étranger et qui ont des avoirs et/ou des biens immobiliers au Maroc . Il ne s’agit pas d’assurer que rien n’a encore été fait , ramenant le problème à une simple question de report du calendrier d’exécution.  L’essentiel est de savoir de quoi il s’agit exactement , quels sont les profils de MRE qui sont concernés , quels sont les comptes bancaires et la nature des biens qui sont en question et par dessus tout,  quelle est la justification de cette signature par le Maroc , pour savoir si elle est fondée ou non . 

Cette situation anxiogène est due fondamentalement à l’absence d’explication et au manque de communication en  direction des citoyens MRE depuis la signature par le Maroc avec l’Organisation de coopération et de développement économiques ( OCDE)  , le 25 juin 2019, de l’Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers. 

Pour le mettre en application , le projet de loi 77-19 portant approbation de cet accord a été transmis au Parlement en août 2020 avec un titre unique « Est approuvé l’Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers , signé par le Royaume du Maroc le 25 juin 2019 » .

Mais avec la crise de la Covid 19, sa discussion au sein de la commission des Affaires étrangère de la Chambre des Représentants fut suspendue . A cette occasion déjà , une polémique sur son contenu a eu lieu au sein des MRE , amenant la Direction générale des Finances à publier une mise au point , mais celle-ci s’est limitée à préciser que l’application de la convention internationale ne se fera pas en 2021 , sans donner aucune information précise sur les raisons de la signature de cette convention , quels profils de MRE elle allait toucher et avec quelle implication, sachant que l’objectif de la convention est fondamentalement à des fins fiscal avec la lutte contre l’évasion fiscale.

D’après la section 2 de la  convention,  il s’agit de l’échange d’informations sur les divers avoirs financiers (comptes bancaires , détention d’actions , intérêts et dividendes touchés, assurances vie) , ainsi que le produit brut de la vente ou du rachat d’un bien versé ou crédité sur le compte au cours de l’année civile ou d’une autre période adéquate … 

 L’accord précise à la section 5 qu’il doit y avoir le respect de l’obligation de confidentialité pour toutes les  informations échangées, mais chacun comprend que dans ce qui pourrait être considéré comme l’intérêt national d’un pays , ces données peuvent circuler entre diverses administrations de ce  même pays , y compris pour des objectifs non fiscaux . 

Simples coïncidences ? 

Le débat sur la convention a coïncidé avec des mesures prises par certains pays à propos des biens immobiliers qui seraient détenus par des MRE au niveau du pays d’origine . En Belgique, après enquête faite au Maroc sur les biens immobiliers détenus par certains bénéficiaires de l’aide sociale en Belgique , leur expulsion a été décidée de leurs logements sociaux, voir même de fortes sommes à rembourser. 

Aux Pays-Bas également , les Marocains résidant dans ce pays , ont été traumatisés les dernières années ( depuis le gouvernement d’alternance consensuelle) par les enquêtes effectuées au Maroc par des agents néerlandais à la recherche notamment des biens immobiliers détenus par certains Marocains résidant en Hollande , bénéficiaires d’aides sociales et ce , avec la connivence officielle même d’auxiliaires administratifs marocainsy ( moukaddems , chioukhs…) surtout à la campagne . 

En France , qui regroupe une forte communauté marocaine , l’environnement s’en rapproche .

C’est ainsi que le 19 avril 2023 , dans une petite musique stigmatisante,  Bruno Le Maire , ministre français de l’économie et des finances et «ministre préféré des Français », pointait du doigt les Maghrébins comme auteurs principaux de la fraude sociale en déclarant sur RMC : «Nos compatriotes en ont ras-le-bol de la fraude (…) Le contribuable n’a aucune envie de voir que des gens puissent en bénéficier, le renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit », en parlant des allocations et des aides sociales.

Son collègue délégué aux comptes publics , Gabriel Attar , renchérissait en annonçant le 25 mai 2023 , la fin des versements des allocations sociales sur les «comptes hors UE » à partir du 1er juillet 2023 , l’augmentation des effectifs , et le renforcement du contrôle des retraités à l’étranger. 

Bien entendu, la lutte contre le blanchiment d’argent est légitime, mais, on ne peut dire que l’application de la convention n’aura aucune incidence négative sur les MRE . Dans certains pays, l’absence de déclaration est punie avec de fortes pénalités annuelles, et dans d’autres , il est même prévu dans leur législation, des peines d’emprisonnement ferme. 

L’absence de communication à propos de l’Accord avec l’OCDE a été d’autant désastreux que les départements directement concernés , n’avaient entrepris aucune étude d’impact de ce projet de loi , voir même avant la signature de la convention , sur les Marocains résidant dans les pays signataires de l’accord multilatéral.

La polémique reprit de plus belle lorsque la discussion parlementaire  a été réouverte en 2023 en commission , sans encore fois , prendre la peine de communiquer avec les milieux concernés pour leur expliquer les tenants  et les aboutissants de cette convention, distinguer entre les principaux cas de MRE qui se présentent  et non pas de laisser libre cours aux interprétations anxiogènes diverses et variées sur les réseaux sociaux ou dans divers médias internes : nécessité pour le Maroc de sortir de la «liste grise », utilisation par les pays d’immigration des informations transmises par le Maroc pour lutter contre la «fraude sociale » par rapport aux MRE qui ont des biens immobiliers au Maroc, impératif de lutte contre le financement du terrorisme , impératif de lutter contre le blanchiment d’argent et autres objectifs qui amenaient tout MRE à avoir peur pour son compte bancaire au Maroc ou d’y perdre tout bien acquis comme un logement , surtout pour les premières générations pour lesquelles le retour après une période transitoire , faisait partie de leur projet migratoire , avec l’acquisition d’un logement au Maroc .. . 

A celà s’ajoute la confusion des informations sur l’attitude très contradictoire des divers groupes parlementaires , voir de chaque député membre de la commission concernée qui dit une chose et son contraire , sans livrer de réponse claire aux MRE et à leurs ONG qui les contactent .

Le dossier est actuellement «à l’étude » à la Chambre des Représentants au sein de la Commission des affaires étrangères , de la défense nationale , des affaires islamiques et des Marocains résidant à l’étranger, qui l’a inscrit pour adoption à son ordre du jour du mardi 18 juillet 2022, sachant que l’année arrêtée par le Maroc comme début d’application de la Convention, n’est pas encore connue officiellement. 

Pour un débat parlementaire transparent . 

Voilà où on en est, ce qui nécessite d’urgence la prise de parole des responsables du dossier pour donner les informations nécessaires , tranquilliser ceux qui doivent l’être , fournir les clarifications appropriées pour mettre fin aux  confusions existantes, mettre d’autres devant leurs responsabilités , dire où va la tendance générale au Parlement, ce que pensent les partis politiques marocains  et ce que veut réellement faire l’Etat marocain après toute cette période de flottement et de grande inquiétude , au lieu de laisser s’élargir la crise de confiance des MRE , préjudiciable à leurs rapports actuels et futurs avec le Maroc, bien au delà des aspects économiques et financiers . 

On comprend mal pourquoi au delà de certaines paroles inaudibles du porte-parole du gouvernement jeudi dernier,  les responsables observent un silence assourdissant sur ce sujet qui devient très sensible , faisant preuve en quelque sorte d’une forme de dédain et de mépris envers  les citoyens MRE qui n’ont pas le droit de demander les informations qui les concernent  . Ces décideurs dans le champ MRE invoquent dans l’absolu et sans autre clarification «l’intérêt du pays» , estimant qu’ils n’ont pas de compte à rendre,  et qu’eux seuls , savent ce qui est bon pour les citoyennes et les citoyens marocains établis à l’étranger.  S’il y’a par conséquent un message essentiel à faire passer , c’est celui de la nécessaire transparence des pouvoirs publics sur la question.

Dans cet esprit , il serait souhaitable que les travaux et débats de la commission des affaires étrangères à la Chambre des Représentants sur ce dossier , soient retransmis en direct à la radio et télévision pour que les premiers concernés , à savoir les citoyens MRE soient informés en direct , en toute transparence , pour que l’on sache exactement quelle est la position du gouvernement et ce que disent les divers groupes et groupements parlementaires pour éviter chez certains pas tous,  les doubles discours trompeurs 


Lundi 17 Juillet 2023

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