Écoles de commerce françaises : quand la quête d’étoiles fait exploser les frais et fait perdre le sens


Rédigé par La rédaction le Jeudi 30 Octobre 2025

Par Dr Az-Eddine Bennani

À la rentrée, les frais de scolarité des grandes écoles de commerce françaises s’envolent une nouvelle fois. HEC, ESCP, ESSEC, emlyon, EDHEC... la plupart dépassent désormais les 60 000 euros pour trois ans, sans compter l’année de césure.
En cause : une décennie d’investissements massifs, une inflation salariale continue et la baisse des soutiens publics.

Pour justifier ces hausses, les directions invoquent la nécessité d’attirer des professeurs-chercheurs de stature internationale, de moderniser les campus ou encore de financer leur développement à l’étranger. Mais derrière cette rhétorique se cache une autre réalité : celle d’un modèle en perte de sens, où l’internationalisation à marche forcée, la course aux accréditations et aux classements ont supplanté la mission d’intérêt général et l’ancrage territorial de ces institutions.



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Une dérive silencieuse : l’école comme entreprise d’évaluation

À l’origine, la plupart de ces écoles étaient consulaires, créées pour former les cadres du tissu économique régional, soutenir l’entrepreneuriat local et diffuser une culture du management ancrée dans la réalité du terrain. Elles sont aujourd’hui devenues des entités quasi privées, dépendantes de leurs ressources propres et obsédées par leur visibilité mondiale.

La conséquence est claire : l’école se gère désormais comme une entreprise de notation. Les professeurs, transformés en producteurs d’articles classés, passent une grande partie de leur temps à publier pour alimenter les bases de données de ranking (FT, THE, QS...), pendant que la pédagogie, la présence en classe et la transmission directe aux étudiants deviennent secondaires.

Cette course aux étoiles à coups de publications dans les revues dites A, A+ ou 4 s’apparente à une frénésie d’auto-légitimation. Or, ces étoiles coûtent cher : les salaires explosent, les contrats internationaux se multiplient, et les frais de scolarité suivent mécaniquement.

Une fracture sociale et cognitive

Cette dérive accentue la fracture entre ceux qui peuvent payer et ceux qui en sont exclus. Le modèle des bourses ne compense plus : il amortit à la marge un système devenu structurellement inégalitaire. La diversité sociale, jadis promesse de ces écoles, s’étiole face à un élitisme économique renforcé.

Mais il y a aussi une fracture cognitive : ces écoles, censées anticiper les mutations du monde numérique, écologique, éthique s’enferment dans un paradigme académique obsolète. Elles produisent des savoirs formatés pour les revues plutôt que des connaissances utiles à la société.

La fin du pacte de confiance :

L’argument du retour sur investissement ne tient plus. En deux ans, le taux d’insertion a chuté de près de dix points, et un diplômé sur cinq cherche encore un emploi après sa sortie. La promesse implicite payer cher pour réussir vite se fissure dans un marché de l’emploi saturé, où la valeur d’un diplôme ne suffit plus à garantir une trajectoire stable.

En réalité, ces écoles payent aujourd’hui le prix d’un modèle d’internationalisation mal compris : vouloir être partout, c’est souvent n’être profondément nulle part. Elles ont oublié que leur légitimité première ne résidait pas dans le nombre de campus à l’étranger, ni dans le prestige de leurs publications, mais dans leur capacité à former des femmes et des hommes ancrés, lucides et responsables.

​Revenir au sens

Il est temps de réinterroger la finalité même de ces institutions. Former des managers n’est pas former des chercheurs en quête de points. C’est aider des jeunes à comprendre le réel, à gérer l’incertitude, à donner du sens à l’action collective.

La vraie excellence ne se mesure pas en étoiles, mais en impact. Et cet impact : économique, social, humain ne s’achète pas. Il se construit, patiemment, au contact du territoire, des entreprises, des citoyens.

Les grandes écoles doivent redevenir ce qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être : des lieux de transmission, d’émancipation et de responsabilité.

Enfin, celles qui ont choisi de s’implanter au Maroc ou dans d’autres pays partenaires ont une responsabilité supplémentaire : elles doivent garantir à leurs étudiants la même qualité de formation, le même niveau d’encadrement et la même exigence académique que sur leurs campus français. Elles doivent aussi recruter des professeurs permanents avec les mêmes droits, devoirs et avantages que leurs collègues de France.

Car l’internationalisation ne doit pas être un prétexte à la différenciation ou à la précarisation, mais une opportunité de réciprocité, de respect et de partage de savoirs entre les deux rives. Et les écoles de commerce marocaines qui, par mimétisme, seraient tentées de reproduire ce modèle français déconnecté de la réalité locale, sont vouées à l’échec.

Elles ne bâtiront ni reconnaissance ni légitimité en important les dérives d’un système qui a perdu son âme. Leur avenir réside au contraire dans la construction d’un modèle enraciné, inclusif, ouvert sur le monde mais fidèle à la mission première de toute institution éducative : élever les esprits avant de valoriser les classements.

Par Dr Az-Eddine Bennani




Jeudi 30 Octobre 2025
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