“Écrire comme Hemingway” : Mission impossible sur tous les plans

Vouloir écrire comme Hemingway, c’est courir après l’inaccessible. Une chronique sur le style, la vérité, et le silence qu’on ne peut pas tricher.


Il avait le style d’un couperet. Pas un mot de trop. Pas un soupir inutile. Pas une phrase qui ne boitille. On dit souvent : “Écrire comme Hemingway.” Comme s’il suffisait d’une machine à écrire, d’un verre de whisky, et d’un peu de testostérone en vrac. On oublie que vouloir écrire comme Hemingway, c’est vouloir chasser le lion sans fusil, aimer sans fioriture, mourir debout et vivre à genoux jamais. C’est vouloir l’impossible. Et c’est tant mieux.



Pourquoi personne n’écrit (vraiment) comme Hemingway et ce que les imitateurs ne comprennent pas

On croit trop souvent que le style d’Hemingway, c’est la simplicité. Faux. C’est la transparence. Et comme l’a écrit un jour Cocteau : « Ce qui est transparent est difficile à voir. » Ce n’est pas qu’Hemingway écrivait simplement, c’est qu’il écrivait comme on saigne : sans détour, sans alibi, sans anesthésie. Or, la plupart des gens n’ont pas envie de saigner pour écrire. Ils veulent briller.

Et Hemingway, lui, détestait les gens qui brillent. Il préférait ceux qui endurent.

On nous enseigne : « Écris avec des mots courts. Sujet, verbe, complément. Évite les adverbes. » Très bien. Mais ce n’est pas cela, Hemingway. Ce sont des silences entre les lignes. Des vérités retenues dans les non-dits. L’iceberg theory, vous vous souvenez ? Ce que vous écrivez doit tenir en surface, mais la véritable émotion reste immergée. Et ça, personne ne vous l’apprend dans un atelier d’écriture créative.

Il faut une vie pour apprendre à ne pas dire ce qu’on pense. Et une autre vie pour réussir à le faire comprendre quand même.

Vouloir écrire comme Hemingway sans avoir vécu la guerre, l’amour impossible, la solitude, le vacarme intérieur d’un homme qui doute de tout sauf du whisky… c’est comme vouloir jouer du jazz sans jamais avoir connu le silence. Hemingway n’écrivait pas des histoires. Il écrivait des blessures.

Et nous ? Nous avons peur de souffrir. Nous avons peur d’être nus. Nous camouflons nos phrases sous des adjectifs, nos idées sous des formules. Hemingway, lui, ne se cachait pas. Il avançait à découvert. Même quand il tombait.

Écrire comme Hemingway, c’est accepter d’échouer. À chaque ligne. C’est croire que le monde peut être raconté sans le trahir. C’est vouloir dire la vérité, même si elle vous crache au visage. C’est une mission impossible parce qu’elle exige de ne pas se mentir. Et dans notre époque post-tout, post-vérité, post-modernité, post-pudeur  c’est l’unique posture subversive qui reste : écrire vrai, sans détour, sans excuse, sans commentaire.

Mais cela a un coût. L’écrivain qui veut écrire comme Hemingway finit toujours seul, incompris ou suicidé — parfois les trois.

Peut-être qu’écrire comme Hemingway, ce n’est pas le but. C’est l’illusion nécessaire. Comme celle du funambule qui sait qu’il tombera un jour, mais qui monte quand même sur le fil. Peut-être que vouloir écrire comme lui, c’est d’abord vouloir écrire contre ce qui nous empêche d’écrire. Contre le bavardage. Contre les filtres. Contre la peur d’être nu sur la page.

Alors, mission impossible ? Oui. Et c’est pour ça qu’on doit essayer. Parce que ce n’est pas tant le style de l’homme qui compte, que la dignité de l’effort. Et le silence après.
 

​Épilogue

Un jour, quelqu’un a demandé à Hemingway ce qu’il fallait pour écrire un grand roman. Il a répondu :
“A built-in, shock-proof crap detector.”

Traduction libre : un détecteur à conneries incorporé.
Si vous l’avez, vous pouvez écrire. Si vous ne l’avez pas, priez. Mais ne prétendez pas écrire comme Hemingway. Il ne vous pardonnerait jamais.

Par Adnane Benchakroun



Lundi 28 Juillet 2025

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