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Entretien : « Ce que les diplômes ne vous apprendront jamais : l’art invisible des soft skills »


Rédigé par La Rédaction le Mercredi 28 Mai 2025

Dans un monde professionnel en pleine mutation, où les diplômes ne suffisent plus à garantir le succès, les soft skills s’imposent comme les véritables clés de l’employabilité. Sophia El Khensae Bentamy, consultante, coach en psychologie positive et enseignante en communication, partage avec franchise et bienveillance sa vision de ces compétences humaines trop souvent reléguées au second plan. À travers cet entretien riche, elle démonte les idées reçues, éclaire les enjeux du savoir-être, et invite chacun à reconsidérer ce qui fait la valeur d’un professionnel. Écoute, respect, confiance, attitude, authenticité : ces « super-pouvoirs invisibles » pourraient bien changer votre carrière... et votre vie.



Huit questions de la rédaction et les réponses de Madame Bentamy

Entretien : « Ce que les diplômes ne vous apprendront jamais : l’art invisible des soft skills »
Question 1 : Madame Bentamy, vous parlez des soft skills comme de “super-pouvoirs invisibles”. Pourquoi ce choix de métaphore, et que révèle-t-il selon vous de la nature de ces compétences dans le monde professionnel d’aujourd’hui ?

Madame Bentamy : La métaphore des “super-pouvoirs invisibles” n’est pas anodine. Elle traduit une vérité que l’on vit sans toujours la nommer : dans les environnements professionnels modernes, les compétences relationnelles, émotionnelles et comportementales jouent un rôle déterminant, bien qu'elles soient souvent absentes des CV. Ces soft skills ne sont pas spectaculaires comme des superpouvoirs dans les films, mais elles agissent en profondeur. Elles influencent la qualité des échanges, la confiance, l'engagement, et donc la performance collective. Dire bonjour avec conviction, savoir écouter vraiment, exprimer un désaccord sans violence : voilà des “pouvoirs” simples, humains, mais capables de transformer une dynamique d’équipe. Ce sont ces compétences qui permettent d’entrer réellement en relation avec l’autre, de “se relier”, comme j’aime le dire. Et dans un monde où la compétence technique devient parfois une évidence, ce sont elles qui distinguent les vrais professionnels : ceux qui savent aussi être humains.

Question 2 : Vous évoquez dans votre texte une dissonance flagrante entre diplômes prestigieux et attitude professionnelle. Que reprochez-vous concrètement à cette culture du CV bien rempli ?

Madame Bentamy : Mon propos ne vise pas à dénigrer les diplômes, loin de là. J’enseigne moi-même en école supérieure et je mesure l’investissement que représente un parcours académique exigeant. Mais j’observe, trop souvent, un glissement dangereux : croire que l’accumulation de lignes sur un CV garantit l’employabilité. Ce n’est plus vrai. Le monde professionnel attend autre chose aujourd’hui. L’attitude, le comportement, la posture, la capacité à interagir avec maturité et intelligence émotionnelle sont devenues des critères décisifs. Ce que je déplore, c’est cette tendance à confondre savoir et sagesse, certification et cohérence humaine. À quoi sert un Bac+12 si on fuit les réunions, si on humilie ses collègues, si on interrompt systématiquement les autres ? J’ai vu trop de “sapins de Noël académiques” incapables de dire “merci” sincèrement. Ce n’est pas un manque de compétence. C’est une faillite d’humanité. Et dans un monde professionnel qui évolue vers la collaboration, cette faillite se paie très cher.

Question 3 : Vous insistez sur le rôle de l’attitude dans l’employabilité. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette dimension est devenue si déterminante pour les recruteurs aujourd’hui ?

Madame Bentamy : Les recruteurs ne cherchent plus seulement des “machines à diplômes”. Ils veulent des profils capables de s’adapter, de coopérer, de faire preuve de résilience. Pourquoi ? Parce que les environnements de travail sont devenus complexes, mouvants, multiculturels. La compétence seule ne suffit plus. Ce qui fait la différence, c’est la capacité à inspirer confiance, à comprendre les enjeux relationnels, à gérer le stress, à résoudre des conflits avec tact. L’attitude est révélatrice : elle dit comment vous allez réagir dans l’adversité, comment vous allez traiter vos collègues, comment vous allez représenter votre entreprise. C’est pour cela que j’affirme que l’attitude vous fera entrer là où le diplôme n’ouvre que la porte. Une posture professionnelle positive, éthique, respectueuse et authentique est désormais un atout stratégique. Elle donne envie de travailler avec vous. C’est cela l’employabilité en 2025.

Question 4 : Dans vos exemples, vous évoquez des figures familières mais problématiques : le professeur méprisant, le médecin glacial, le coach blessé… Que dénoncent-ils exactement dans notre culture professionnelle ?

Madame Bentamy : Ces figures sont plus que des caricatures. Elles incarnent un mal professionnel répandu : l’incohérence entre le rôle affiché et l’attitude réelle. Le professeur brillant mais méprisant trahit sa mission éducative. Le médecin glacial trahit la relation de soin. Le coach égocentré trahit la confiance de ses accompagnés. Derrière ces portraits, je dénonce une illusion : celle selon laquelle la maîtrise technique suffirait à garantir la légitimité professionnelle. C’est faux. La compétence sans bienveillance devient une forme de pouvoir toxique. Le savoir sans l’écoute devient une arme de domination. Et plus grave encore : ces comportements ont des conséquences concrètes sur la santé psychologique des équipes, sur la qualité des services, sur le sens même du travail. Ces exemples doivent nous réveiller. Il ne suffit pas de “faire bien son travail”. Encore faut-il le faire avec humanité, avec respect, avec l’humilité de celui qui sait qu’il ne sait pas tout.

Question 5 : Vous semblez attacher beaucoup d’importance à la manière dont on s’exprime : poser sa voix, choisir ses mots, assumer le silence… Pourquoi ces aspects sont-ils si fondamentaux ?

Madame Bentamy : Parce qu’ils traduisent bien plus que des compétences en communication : ils reflètent notre rapport à l’autre, notre conscience de l’impact de notre parole. Savoir poser sa voix, ce n’est pas seulement bien parler. C’est faire preuve de présence, de maîtrise de soi, de respect du cadre. Choisir ses mots, c’est manifester une attention à l’interlocuteur. C’est chercher la justesse, pas la domination. Et assumer le silence, c’est accepter l’inconfort de l’écoute, reconnaître que tout ne se résout pas par des paroles. Ces dimensions sont essentielles dans un monde saturé de bruit, d’opinions, de discours rapides. Celui qui sait se taire au bon moment, qui sait parler avec sobriété et profondeur, qui ose dire “je ne sais pas” ou “je comprends même si je ne suis pas d’accord”, celui-là inspire confiance. Il crée de l’espace relationnel. Il montre qu’il a fait un travail intérieur. Et cela, croyez-moi, ça se ressent.

Question 6 : Vous parlez aussi des freins invisibles que certains professionnels s’imposent : peur de parler en public, sabotage de carrière… Comment les soft skills peuvent-ils aider à les dépasser ?

Madame Bentamy : Ces freins ne sont pas des caprices. Ce sont des blessures, des peurs profondément ancrées. La peur de parler en public, par exemple, est une des plus répandues. Elle naît souvent d’un manque de confiance en soi, d’un vécu d’humiliation passé, d’un sentiment d’illégitimité. Et le problème, c’est que cette peur pousse certaines personnes compétentes à saboter inconsciemment leur trajectoire : elles refusent des promotions, évitent les responsabilités, fuient les prises de parole. Travailler ses soft skills, c’est amorcer un processus de libération. Apprendre à se connaître, à réguler son stress, à affirmer sa parole, à s’exposer avec vulnérabilité mais sans honte, c’est ça qui transforme. Ce n’est pas magique. Mais c’est possible. Et quand on y parvient, on ne gagne pas seulement en carrière. On gagne en estime de soi, en liberté intérieure, en puissance d’agir. Les soft skills, c’est aussi une voie de guérison.

Question 7 : Certains continuent de considérer les soft skills comme des “petits plus”. Que leur répondriez-vous pour les convaincre de leur caractère fondamental ?

Madame Bentamy : Je leur dirais simplement : “Essayez de construire un gratte-ciel sans fondations.” Les soft skills ne sont pas un bonus. Ce sont les bases. Sans elles, toute expertise technique devient fragile. Un ingénieur peut concevoir un projet brillant, mais s’il ne sait pas écouter son équipe, le projet échouera. Une infirmière peut maîtriser tous les protocoles, mais si elle n’a pas de compassion, le soin sera froid. Un manager peut exceller dans ses indicateurs, mais s’il crée un climat de peur, l’équipe s’effondrera. Les soft skills, ce sont la conscience relationnelle, l’éthique, l’intelligence émotionnelle, l’humilité, le sens du collectif. Ce sont les piliers du vivre-ensemble professionnel. Ceux qui les ignorent prennent le risque de construire leur carrière sur du sable. Et ceux qui les cultivent peuvent transformer non seulement leur environnement, mais aussi leur propre rapport au travail. Voilà pourquoi ils ne sont pas des “plus”. Ils sont la clé.

Question 8 : Enfin, pour les jeunes en début de carrière qui nous lisent, quel serait votre conseil principal pour développer ces fameuses compétences humaines ?

Mon premier conseil serait de commencer par s’observer avec honnêteté. Quels sont mes réflexes en situation de tension ? Comment je réagis quand on me contredit ? Est-ce que je sais écouter vraiment ? Puis je leur dirais : osez demander du feedback. Cherchez les retours sincères, même inconfortables. Car on grandit dans l’altérité. Ensuite : formez-vous, mais pas seulement pour acquérir des outils. Formez-vous pour mieux vous comprendre, mieux comprendre les autres. Les soft skills ne sont pas innés. Ils se travaillent. Enfin, je leur dirais : soyez cohérents. Si vous voulez de l’authenticité, soyez authentiques. Si vous voulez du respect, soyez respectueux. Et surtout : soyez bienveillants avec vous-mêmes. Le chemin des soft skills n’est pas celui de la perfection, mais celui de l’alignement. Et cet alignement-là, personne ne pourra jamais vous l’enlever. Il vous portera dans votre carrière. Et dans votre vie.

Un immense merci à Sophia El Khensae Bentamy pour la générosité de ses propos, la clarté de ses convictions et la profondeur de sa réflexion.

 Dans un monde où l’on valorise encore trop souvent l’apparence et la technique, votre voix rappelle avec force que l’humanité, l’écoute et la cohérence intérieure sont les vraies clés de la réussite professionnelle. Merci d’avoir pris le temps de nous éclairer, d’oser dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, et surtout de semer ces graines d’intelligence émotionnelle dont notre société a tant besoin. Que cet entretien inspire toutes celles et ceux qui cherchent à conjuguer compétence… et conscience.

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Mercredi 28 Mai 2025
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