Espagne/Sahara… bien, mais peut (et doit) mieux faire !




Par Aziz Boucetta

L’Espagne s’est exprimée, et le Maroc est satisfait, peut-être même heureux : Madrid se départit de son habituelle neutralité sur la question du Sahara. Après l’Allemagne, c’est au tour des voisins de reconnaître le « sérieux » et la « crédibilité » de la proposition marocaine d’autonomie du Sahara non moins marocain. C’est assurément louable car, pour reprendre l’expression du roi Mohammed VI, le « flou » n’est plus de mise. Mais l’ « ambivalence », si.

La situation dans cette partie nord-ouest de l’Afrique a profondément évolué dans les 18 derniers mois. La reconnaissance américaine de l’appartenance du Sahara au Maroc a ouvert une brèche dans les positions des pays occidentaux dits amis à l’égard du Maroc. La décision de Donald Trump de décembre 2020 a changé la donne et sa confirmation du bout des lèvres, voire à reculons, par l’administration Biden prouve et souligne l’importance du royaume aux yeux des Américains. Et si Washington l’a fait, pourquoi pas les autres ? Désormais, leurs desseins cachés le sont moins…

Après une sévère brouille avec Rabat, les Allemands ont finalement fait montre de souplesse dans leurs relations avec le Maroc, reconnaissant tout et le reste, excepté l’intégrité territoriale du Maroc. C’est aujourd’hui au tour des Espagnols de se départir de leur traditionnelle neutralité dans un conflit où ils peuvent tout être sauf neutres. Mais ils restent ambivalents du fait qu’ils souhaitent tirer profit d’une relation heureuse et fructueuse avec le royaume de son nord à son sud, mais sans reconnaître clairement et explicitement sa pleine et totale souveraineté sur son sud.

Le monde a changé et il accélère brutalement et singulièrement aujourd’hui, à l’aune de la guerre d’Ukraine. Le Maroc, à la surprise des observateurs, a choisi son camp en ne choisissant d’être dans aucun camp. Et dans la foulée, et tout en maintenant fermées les frontières terrestres et maritimes avec l’Espagne, Rabat a laissé planer le doute sur l’ouverture d’une représentation catalane à Rabat, annoncée par le gouvernement de Catalogne, ce que l’exécutif de Madrid refuse.

Alors Pedro Sanchez écrit au roi, et son ministre des Affaires étrangères confirme que « cette nouvelle étape sera développée sur une feuille de route claire et ambitieuse pour garantir la stabilité et la souveraineté, l’intégrité territoriale et la prospérité de nos pays ». L’Espagne craint pour sa Catalogne et se place désormais à un jet de pierre de la reconnaissance explicite du Sahara marocain, d’où la satisfaction très diplomate et encore plus diplomatique de Rabat.

Pourquoi cette brusque évolution espagnole ? Outre la crainte de voir ouvrir une représentation catalane à Rabat, Madrid calcule le risque induit par la guerre d’Ukraine et les perspectives d’insécurité alimentaire en Afrique (évoquée par Emmanuel Macron) sur des tensions migratoires déjà fortes. Pedro Sanchez évoque la question dans son message.

Par ailleurs, et suite aux audacieuses ouvertures diplomatiques et économiques du Maroc avec la Chine, Israël, possiblement l’Inde, un peu le Japon et aujourd’hui la Russie, l’Espagne mesure le risque de perdre en force auprès d’un allié stratégique et d’un gros partenaire économique, ainsi que l’exprime en chiffres le ministre espagnol des Affaires étrangères. Les discours musclés du roi Mohammed VI en 2021 vont également dans ce sens et le soulignent clairement. L’année passée, en effet, l’Espagne a décidé de « jouer » Alger contre Rabat. Elle n’a pas gagné l’Algérie mais elle a perdu le Maroc, elle ne s’est pas rapproché d’Alger mais a décroché avec Rabat.

En outre, l’été dernier, le Maroc et l’Algérie étaient proches d’une guerre ouverte, à la grande indifférence des Européens, si proches physiquement de la région maghrébine et pourtant si peu soucieux de son sort. Mais avec la guerre en Ukraine, sur son flanc nord-est, l’Europe ne peut se permettre un autre conflit à sa frontière sud. Il ne reste plus qu’à attendre de l’UE qu’elle comprenne enfin qu’il n’y a rien de louable, voire d’intelligent, à espérer d’un gouvernement algérien erratique et brouillon.

Entre l’Espagne et le Maroc, les échanges en énergie électrique se développent, de même que peut (et doit) être envisagée une politique commune en matière de gaz (par tubes ou par bateaux) dans un contexte de reconfiguration générale de la géopolitique énergétique. Enfin, l’avantage acquis par Rabat en matière de frontières maritimes (et des richesses se trouvant dans son large) a fini de convaincre les Espagnols, mais aussi les Européens, de l’importance stratégique de bonnes relations avec le Maroc.

Aussi, et tout en considérant comme positive l’action de rapprochement de Madrid en direction de Rabat, il serait utile de ne pas basculer dans un angélisme affectif envers l’Espagne ou de se satisfaire et se contenter, comme il se dit déjà ici et là, de cette caution et de cette crédibilité qu’elle apporterait à notre cause nationale, qui n’en a nul besoin.

Aujourd’hui, il est important de le rappeler, le Maroc avance avec assurance et se permet des prises de risques diplomatiques. L’Europe, quant à elle, doute d’elle-même et redoute l’avenir. Les rapports de puissance évoluent et la fenêtre de tir ouverte par la guerre en Europe devrait faciliter la résolution définitive de la question du Sahara.

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panora Post


Samedi 19 Mars 2022

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