Et si ma cervelle passait la deuxième ? Tant que ce n’est pas trop tard…




Une chronique légère contre le mythe des 10 % de cerveau par Adnane Benchakroun

On m’a dit un jour – comme une confidence gênée ou une mauvaise blague – que je n’utilise que 10 % de mon cerveau. Moi, senior marocain, 66 ans, qui ai élevé trois enfants, monté des étagères sans notice, jonglé avec les prix du marché et les prières de Tarawih, je serais donc un modèle défectueux, une espèce de smartphone mental bridé ?

Et si, par magie ou miracle scientifique, je passais à 20 % de capacité cérébrale ? Est-ce que je pourrais retrouver mes lunettes sans fouiller tous les tiroirs ? Comprendre enfin les factures télécom ou suivre un tutoriel YouTube sans que la vidéo ne me donne envie de pleurer ? Ou mieux : réussir à utiliser la télécommande sans appeler un de mes petits-enfants à la rescousse…

Le mythe des 10 %, c’est un peu comme celui des bienfaits de l’eau de loubane pour la mémoire : ça rassure, ça fait parler… mais ça ne repose sur rien de solide. Les neurosciences modernes sont claires : notre cerveau travaille déjà à plein régime. Même quand on a l’impression de ne rien faire, il se passe là-dedans plus de connexions qu’au terminal de Tanger Med.

Alors pourquoi ce fantasme d’un "cerveau sous-utilisé" persiste-t-il ? Peut-être parce qu’il flatte nos rêves de super-pouvoirs… ou nos complexes. Et quand il s’agit des seniors, ce genre d’idée devient un alibi commode pour nous coller une étiquette de "ralenti chronique".

Mais à bien y penser, est-ce si grave de réfléchir lentement ? L’important, ce n’est pas la vitesse, c’est la direction. À quoi bon comprendre trois langues si on ne sait pas dire "je t’aime" au bon moment ? À quoi sert d’avoir la fibre optique dans la tête si c’est pour zapper l’essentiel ? Parfois, penser lentement, c’est penser mieux.

Le vrai souci, ce n’est pas notre cerveau, c’est le regard qu’on porte sur lui. La société adore mesurer, comparer, classer. Et nous, les seniors, on finit par intégrer qu’on est "dépassés", comme un vieux logiciel. Pourtant, chaque fois qu’on raconte une histoire de notre jeunesse, qu’on donne un conseil qu’on a déjà payé cher d’expérience, on prouve qu’on pense encore juste. Peut-être pas vite, mais juste.

Ce ne sont pas les pourcentages qui manquent, mais le respect. Respect pour la mémoire vivante qu’on incarne, pour l’humour qu’on a affûté à coups de revers de la vie, et pour cette intelligence tranquille qui ne fait pas de bruit, mais qui voit clair.

Alors oui, peut-être qu’il est temps de passer la deuxième vitesse mentale. Non pas pour devenir des surhommes, mais pour nous réaccorder une place dans le concert des voix. Tant que le moteur tourne, autant que ça vibre encore.

Mais imaginons un instant encore une fois … et si je le poussais à 20 % ?

Est-ce que je pourrais enfin retrouver mes lunettes sans fouiller la maison entière ? Comprendre les mises à jour de WhatsApp sans appeler mes petits-enfants ? Ou mieux encore : comprendre le pourquoi du comment de cette télécommande qui a plus de boutons que mon cerveau n’a de connexions ?

On fantasme beaucoup sur cette idée d’un potentiel caché, comme si notre matière grise était un coffre-fort dont seuls les jeunes auraient le code. Pourtant, chaque senior que je connais peut vous raconter de mémoire les prix du pain depuis 1972, les prénoms de ses anciens voisins et le score du match Maroc-Portugal en 1986. Alors, ces 10 %, ils servent à quoi exactement ?

La réalité, c’est qu’on n’a pas besoin d’en faire plus, mais de faire mieux avec ce qu’on a. La société, elle, ferait bien d’utiliser ne serait-ce que 10 % de son respect envers les personnes âgées avant de parler de notre "rendement cognitif". Car si on est censé être au ralenti, expliquez-moi pourquoi on continue de faire tourner les familles, de gérer les repas de fête, de jouer les taxis pour nos petits-enfants et d’avoir toujours une anecdote à raconter (même si elle commence souvent par “à mon époque…”).

Cette idée, née à la fin du XIXᵉ siècle, a été popularisée par des auteurs de développement personnel… mais n’a aucune base scientifique.

Les imageries cérébrales modernes montrent que la quasi-totalité du cerveau est activée au quotidien, même pendant des tâches simples. Ce mythe séduit car il suggère un potentiel caché, une promesse d’évolution. Mais en réalité, le cerveau est déjà une machine optimisée, surtout chez les seniors, dont certaines compétences – comme le raisonnement moral ou l’empathie – s’affinent avec l’âge. Plutôt que de courir après une puissance fantasmée, il est peut-être temps de reconnaître ce qu’on fait déjà avec brio.

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Mardi 22 Avril 2025

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