De la paix armée à l’autonomie stratégique : vers une Europe de la défense ?
L’Union européenne vient d’autoriser ses États membres à consacrer jusqu’à 1,5 % de leur PIB à la défense sur une période de quatre ans, sans que ces dépenses n’entrent dans le cadre strict des règles budgétaires habituelles. Ce signal fort intervient dans un contexte de menaces géopolitiques croissantes : la guerre en Ukraine, la pression russe à l’est, les incertitudes transatlantiques autour de l’OTAN et l’ombre d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Loin d’être anecdotique, cette mesure traduit une volonté de réarmement assumée. Jusqu’ici, les budgets de défense de plusieurs pays européens étaient freinés par les règles de convergence budgétaire (comme la limite des 3 % de déficit public). Désormais, les États ont les coudées franches pour investir massivement, moderniser leurs armées, développer leurs industries d’armement et sécuriser leurs frontières.
Mais cette ouverture ne va pas sans poser de questions. Qui bénéficiera réellement de cette manne ? Les industriels européens ou les fournisseurs américains ? Car au-delà du montant alloué, c’est bien la souveraineté industrielle et technologique de l’Europe qui est en jeu. L’achat de matériel américain (comme les F-35) pourrait creuser la dépendance stratégique. À l’inverse, investir dans Airbus Defence, Thales, Leonardo ou Rheinmetall pourrait renforcer une base industrielle commune.
Par ailleurs, cette décision pourrait exacerber les tensions internes. Tous les pays membres ne sont pas sur un pied d’égalité : les États baltes, la Pologne ou la France plaident pour un effort de défense accru, tandis que d'autres comme l’Italie ou l’Espagne restent prudents face aux déficits publics. Ce nouvel espace budgétaire, s’il n’est pas accompagné d’une vision commune, risque de renforcer les fractures au lieu de les combler.
Et maintenant ? Une boussole, une armée, une doctrine ?
L’Europe s’offre les moyens de sa défense. Encore faut-il qu’elle s’accorde sur ce qu’elle veut défendre… et contre qui.