Face aux défis et aux incertitudes, le « cinéma muet » du gouvernement


Quand on se tait, il faut tout de même communiquer. La politique actuelle, d’animée qu’elle fut dans les dix dernières années, est devenue, subitement muette, mutique, insipide… nous aimerions bien savoir ce qui se passe, mais nous ne percevons que les soupçons sur ce qui se trame. Comment ? Par la rumeur qui enfle et les communiqués qui ronronnent… Entre la politique spectacle et le silence sépulcral, notre gent politique devrait savoir pertinemment placer le curseur.



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Par Aziz Boucetta

En effet, au vu de l’ampleur des chantiers en préparation, il serait de bon ton que le public, en principal le premier concerné, sache ce qu’il advient, ou pas. Depuis un an et demi que ce gouvernement est en fonction, le chef du gouvernement ne s’est adressé qu’une seule fois, directement, aux Marocains.

C’était il y a un an, c’était un fiasco, mais c’était quand même nécessaire car le chef du gouvernement n’est plus seulement le premier des ministres et leur chef, mais il est aussi chef de l’exécutif, ne pouvant être nommé par le roi que s’il répond à la condition d’être membre du parti arrivé premier aux élections. Sans pouvoir être révoqué (ce qui n’est pas toujours heureux…).

Cette fonction politique le place, ou devrait du moins le placer en contact direct avec la population, qui l’a en quelque sorte élu. En se soustrayant ainsi, Aziz Akhannouch porte atteinte à l’esprit même de la constitution. Lui et ses communicants expliquent qu’il travaille et qu’il délivre ; ce dont personne ne doute, mais à moins qu’il n’ait privatisé les institutions, il doit faire connaître son action au public, et pas seulement lors de ses laborieuses séances mensuelles au parlement !

La mandature actuelle est celle des grandes réformes, santé, éducation, protection sociale, promotion du rural, registre social unifié, sans parler de bascule géopolitique qui, Dieu merci, n’est pas du ressort du gouvernement. Il appartient donc au chef du gouvernement, chef de l’exécutif et d’une majorité parlementaire en charge de mettre en place ces grandes réformes, d’informer le peuple, détenteur de la souveraineté nationale et en droit, à ce titre, d’être instruit de ce qui se produit et de demander des comptes.

Cela est valable si, toutefois, les choses se déroulent bien. Or, tel n’est pas le cas. Les prix des denrées alimentaires flambent et la campagne de tassement forcé de ces prix actuellement menée est conjoncturelle, pour le mois de ramadan ; que se passera-t-il dès le mois de mai ? Nul ne le sait vraiment, mais tout le monde l’appréhende.

En face des prix, le pouvoir d’achat, du moins d’une partie de la population, salariée. En 2022, un accord avait été scellé avec les syndicats et le patronat, portant... sur les conditions législatives qui allaient permettre la seconde tranche de l’augmentation salariale, aussi étique fût-elle et sera-t-elle.

Il semblerait que des retards aient été enregistrés, notamment pour la loi sur la grève, et que des incertitudes, de solides incertitudes, semblent peser sur cet objectif gouvernemental de création d’un million d’emplois d’ici 2026. Et même si cette promesse était remplie, elle ne réduirait que très peu cette armée de 15,3 millions de personnes en âge de travailler, et qui ne travaillent pas (HCP, 2023). On peut en effet se gargariser du taux de chômage de 11,80%, mais on pourrait s’inquiéter face aux vrais chiffres, des gens sans activité et des jeunes NEET.

Quant au taux de croissance, promis par l’actuelle équipe à 4% par an, supposé être de 6% selon le modèle de développement, il est bien en deçà de cela.

Tout cela est compréhensible, ou peut l’être ; tout cela est justifiable, ou pourrait l’être, au regard de la conjoncture internationale et de la pluie qui, de capricieuse, se fait rare, très rare. Mais pour être compréhensible, il faut des explications, tant les attentes sont trahies et les rumeurs d’enlisement des uns et les soupçons d’enrichissement des autres sont pesantes. Nous sommes dans une forme d’ « amoralisation » de la vie publique, tant ces rumeurs et ces soupçons se multiplient face à un silence qui devient de plus en plus lourd.

Quant aux réformes sociétales, celles qui ne nécessitent pas de moyens outre mesure, elles se font aussi attendre, peut-être même oublier : le Code pénal est à la peine, une politique pour les Marocains du monde se perd dans les dédales des réunions et autres commissions, la réforme de la Moudawana patine,

Une politique interne au ralenti, donc, ou ralentie par une équipe gouvernementale trop technocratique pour être véritablement politique et une majorité parlementaire trop terne pour être active, à défaut de se montrer offensive. Le tout aggravé par le chef des deux, trop pris dans ses tableaux et encore plus épris des chiffres, mais affichant un certain mépris pour ces deux millions (dit-on) de personnes qui ont voté pour lui et pour les sept millions d’autres qui, de guerre lasse, en attendaient quelque chose.

Il est donc temps pour le gouvernement et son chef de (véritablement) s’ouvrir sur la société, d’expliquer, de parler, de monter au créneau, pour donner du sens à la politique interne, en soutien à la nécessaire résistance à une conjoncture extérieure de plus en plus hostile et belliqueuse. Le Maroc vit aujourd’hui dans une sorte de temps suspendu, sans relief et sans âme, silencieux comme le cinéma muet de Charlie Chaplin, le rire en moins.

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost 


Lundi 13 Mars 2023

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