Femmes marocaines : libres sur le papier, jugées dans la rue


Rédigé par le Vendredi 2 Mai 2025

On ne peut passer sous silence l’adoption croissante, ces dernières décennies, par de nombreuses Marocaines, de tenues à connotation religieuse, souvent inspirées de courants rigoristes de l’islam venus de l’étranger. Ces codes vestimentaires, largement influencés par des prêches diffusés sur des chaînes étrangères, des discours de prédicateurs numériques sur les réseaux sociaux ou encore par le retour de membres de la diaspora porteurs d’une vision radicalisée de la religion, sont en décalage manifeste avec le patrimoine vestimentaire traditionnel du Maroc.



Il y a des chiffres qui donnent froid dans le dos. Une récente étude menée par l’organisation Menassat, intitulée «Femmes, espace public et libertés individuelles», vient de jeter un pavé dans la mare. On y découvre que 55% des Marocains refusent aux femmes la liberté de disposer de leur corps dans l’espace public, bien que 67% l’acceptent dans la sphère privée. Oui, vous avez bien lu.

Mais de quoi parle-t-on exactement quand on évoque ce fameux "droit de disposer de son corps" ? Il ne s’agit pas d’un slogan creux, mais d’un principe fondamental : le droit de décider librement de sa sexualité, de sa santé reproductive, d’avoir recours à l’avortement ou de faire un don d’organe. Bref, être maître de son propre corps. Un droit qui s’oppose à toutes les formes d’oppression : viol, mariage forcé, excision, torture ou esclavage moderne.

Alors pourquoi, en 2025, interroge-t-on encore les Marocains sur des droits qui devraient relever de l’évidence, et qui, rappelons-le, sont déjà garantis par les lois marocaines ? Pourquoi ce retour constant en arrière, ce besoin de légitimer ou de délégitimer ce que le droit consacre déjà ?

Pire encore, l’étude met en lumière une contradiction flagrante : 75% des sondés affirment que les femmes devraient avoir accès à tous les lieux publics — cafés, cinémas, théâtres, hôtels, jardins. Et même 80% chez les jeunes entre 18 et 34 ans. Comment peut-on, d’un côté, défendre leur présence dans l’espace public et, de l’autre, leur refuser la pleine jouissance de leur corps dans ces mêmes espaces ? C’est à n’y rien comprendre.

À moins que dans l’imaginaire collectif, "disposer de son corps" ne soit automatiquement associé à la sexualité, à la provocation, à la transgression. Une femme dans la rue, en jupe ou en tee-shirt, dérange. Une femme qui manifeste pour Gaza, non. Deux poids, deux mesures.

Ce que révèle surtout cette étude, c’est le poids écrasant de la «hchouma», cette honte sociale omniprésente qui pousse tant de femmes à s’autocensurer chaque matin devant leur placard. Ce n’est plus un débat d’opinion, c’est une question de survie sociale.

Et ce n’est pas tout. Un autre chiffre fait frémir : 33% des sondés appellent à une application stricte de la charia, tandis que 45% estiment qu’un mélange entre charia et droits humains améliorerait la condition féminine. Oui, vous avez bien entendu : en 2025, certains rêvent encore de califats moraux, tout en feignant de croire que droits humains et dogmes religieux extrêmes peuvent cohabiter harmonieusement.

Alors que se passe-t-il ? Pourquoi ce retour en force de visions rétrogrades et parfois hostiles à la liberté des femmes ? Pourquoi cette pression grandissante sur les corps féminins ? Peut-être faut-il chercher du côté de la montée en puissance de l’islam rigoriste, importé de pays où la religion est utilisée comme instrument de contrôle social.

Depuis quelques décennies, les codes vestimentaires religieux ont envahi les rues marocaines, remplaçant petit à petit les tenues traditionnelles par des habits importés, symboles d’une lecture dure et figée de l’islam. L'influence de prédicateurs sur les réseaux sociaux, la prolifération de chaînes religieuses satellitaires, et le retour d’une diaspora fantasmant sa «hijra» en terre musulmane avec une vision radicale de la foi, participent à cette transformation.

Oui, le Maroc change, mais pas toujours dans le bon sens. Oui, le droit progresse, mais les mentalités stagnent. Et pendant ce temps, le corps des femmes reste un champ de bataille, une obsession nationale, un sujet de débat permanent. Qu’on le dise clairement : ce n’est pas à la société de décider à quoi doit ressembler une femme, comment elle doit s’habiller, ni ce qu’elle a le droit de faire de son corps.

Tant que ces questions continueront d’être posées, tant que les femmes devront justifier leur simple présence dans l’espace public, nous ne pourrons pas parler de société libre, ni d’égalité réelle. Il est temps d’arrêter de marchander nos droits fondamentaux. Ce combat n’est pas une opinion, c’est une urgence.


#Islam#Marocaines#femmes#ISLAMISTES#Libertés individuelles





Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC. Dompteuse de mots, je jongle avec… En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 2 Mai 2025
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