France/Maroc, un atterrissage par vents contraires


Disons-le d’emblée, la France, ce n’est pas rien pour le Maroc, et inversement ; d’où l’intérêt porté à la visite de Stéphane Séjourné à Rabat, visite scrutée, car potentiellement prometteuse, par les Marocains, les Français, mais aussi quelques autres nationalités, comme les Algériens, les Espagnols et d’autres. Résultat ? Un grand pshiiit pour les uns, une mise en perspective pour les autres, qui attendent la rencontre des chefs, si rencontre il y a…La forme.



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Par Aziz Boucetta

Stéphane Séjourné, jeune ministre novice, se trouvait face à un Nasser Bourita aguerri, plutôt froid et sur ses gardes, économe de son sourire, regard incisif, ouvrant la conférence en arabe comme il l’avait fait avec Catherine Colonna, et contrairement à son attitude avec leur homologue allemande.

Le Français est peu au fait de la question, ayant manifestement appris son catéchisme, et le lisant pour ne pas déraper. Il était manifeste que M. Bourita ne s’attendait à rien et M. Séjourné a excellé dans le rien. Ils sont venus ensemble, ils ont parlé séparément et ils sont partis prestement, le Marocain évitant la traditionnelle poignée de main avec le Français, soulagé d’en avoir fini, le tout sous le regard concentré, très concentré de l’ambassadeur de France qui a tant fait pour que cette rencontre ait lieu. On attendait un élément nouveau dans cette affaire franco-marocaine, on a eu droit à un nouvel élément à la tête de la diplomatie française !

Le fond. Stéphane Séjourné et ses équipes n’ont pas encore compris que dire aux Marocains que le Sahara (le mot « occidental » n’a pas été prononcé) est une question existentielle pour eux est une évidence et dénote d’une incompréhension de la situation. Les « je vous ai compris » gaullistes sans le panache gaullien sonnent creux. L’ambassadeur l’a dit quelques jours avant à l’université de Casablanca et cela avait été relevé et bien accueilli, car le propos ouvrait potentiellement sur une déclaration plus précise, plus audacieuse du ministre, mais ledit ministre est laborieusement resté sur les habituels « compromis », « juste », « mutuellement acceptable » et « soutien aux efforts de l’Envoyé personnel ».

« Chuis impressionné par les réformes entreprises par le Maroc », nous enseigne doctement M. Séjourné qui découvre à peine que le Maroc d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier, se projetant bravement dans les… 30 prochaines années ! Discours creux. « Le soutien clair et constant » de la France est toutefois plus important pour le Maroc qui, dans un monde changeant et face à une Amérique erratique peu fiable, en a besoin. Mais pas à n’importe quel prix car la France n’est pas le seul permanent au Conseil de sécurité et que, selon des informations concordantes, le Royaume-Uni avance à grands pas vers une reconnaissance de la marocanité du Sahara.

« Il est désormais temps d’avancer, et j’y veillerai personnellement », hasarde avec fort peu de conviction le ministre français, reprenant le mot du représentant permanent de la France à l’ONU en octobre dernier. Comment, quand ? M. Séjourné ne le dit pas ; peut-être que, comme pour Donald Trump en 2020 et pour Pedro Sanchez en 2022, l’annonce sera réservée au chef de l’Etat français. Peut-être…

Dans l’attente, la position du Maroc, sauf changement non annoncé, reste cadrée par le désormais fameux « prisme » défini par le roi Mohammed VI en 2022. En affirmant que la France « appuiera le développement du Sahara », le ministre français oublie qu’il faut préalablement s’inscrire dans le « prisme » marocain, ou royal, ce qui revient au même. Il y a certes dans le propos de M. Séjourné une reconnaissance implicite de la souveraineté du Maroc sur le Sahara mais Rabat demande plus, attendant au...moins une position médiane entre celle de l’Espagne et celle des Etats-Unis.

 

Répéter à l’envi le mot « respect », insister sur le soutien « historique » de la France en oubliant de reconnaître l’Histoire, cajoler et câliner le Maroc… tout cela est heureux mais n’avance pas à grand-chose car ce que Rabat attend de la France, qui le dit elle-même, est d’avancer tout court.

Pedro Sanchez, qui s’est politiquement mis en danger en « avançant » dans la question du Sahara et qui a été reçu par le roi Mohammed VI la semaine dernière, n’apprécierait certainement pas de voir les portes du Maroc ouvertes aux Français sur ces simples et timides déclarations. Et comment soutenir la France en Afrique francophone d’où la politique macronienne l’a faite exclure sans argument solide pour le Maroc, un argument comme la reconnaissance « claire et constante » mais aussi ferme et explicite de la marocanité du Sahara par la France ?

La relation entre le Maroc et la France est une relation d’Etat à Etat, comme l’ont souligné les deux ministres, mais ce qui fait sa force et surtout sa singularité est qu’elle est portée par les populations et les sociétés… ce qui n’est plus le cas, venant du Maroc. La question du visa a occasionné des dégâts et des ravages dans cette relation, et la confiance est rompue car, bien que l’ambassade de France assure la main sur le cœur que cette question est réglée, les Marocains ont toujours aussi mal au cœur à chaque fois qu’ils envisagent d’aller demander (quémander ?) un visa, surtout pour la France car, justement, précisément, une forte relation historique est supposée unir les deux pays.

Alors, la suite ? La suite serait dans une visite d’Emmanuel Macron au Maroc. Sur ce point, Rabat a « avancé »… par la nomination d’une ambassadrice proche des centres de décision au Maroc, par l’accueil de hauts sécuritaires français par leurs homologues marocains (et Dieu sait combien la France appréhende ses Jeux Olympiques), par les instructions royales pour un déjeuner princier à l’Elysée, par la réception de M. Séjourné, venant sans déclaration préalable sur le Sahara…

Le Maroc a avancé, donc, et il attend d’être payé en retour par Paris. Et ce n’est pas « tordre le bras à la France » que de réagir ainsi, comme l’a déclaré « une source diplomatique française » au journal le Monde, le bras en question étant déjà passablement tordu un peu partout dans le monde et avec le Maroc, en Afrique, le bras endolori pourrait être remis à l’endroit…

Que viendrait donc faire M. Macron au Maroc s’il ne fait pas un grand bond en avant, s’il ne reconnaît pas l’erreur (ou le forfait) historique de son pays à l’égard du Maroc, et alors même qu’il est le président qui a décidé de « punir collectivement » les Marocains pour une question d’Etat qui ne concerne pas le grand public ? S’il vient, c’est qu’il est invité, mais le Maroc, c’est le Roi et sa population, et le Sahara, c’est le Roi et sa population ; or le Roi a défini un prisme pour les relations diplomatiques et les partenariats du royaume et la population est toujours ulcérée par le comportement et l’attitude du président Macron. Que viendrait donc faire M. Macron sur nos terres ?

Le seul moyen pour le président français d’être véritablement bienvenu dans le royaume est qu’il cesse de jouer avec le Maroc et de se jouer des Marocains. Alors, formons le vœu que cette visite « préparatoire » de M. Séjourné prélude à ce que les Marocains attendent, même s’ils ne s’attendent plus à grand-chose.

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost

 


Mercredi 28 Février 2024

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