Frappe iranienne contre Israël : échec ou succès ?


Rédigé par le Lundi 15 Avril 2024

S’il est difficile de désigner un gagnant, il est certain que ni l’Iran, ni Israël ne sont sortis indemnes de la nuit du 13 au 14 février.



Israël a vécu sa nuit la plus terrible, le 14 avril, quand l’Iran a militairement réagi à l’attaque israélienne contre son consulat à Damas, en début de mois. Au petit matin, le bilan iranien semble plutôt maigre, mais Israël est loin de s’en être sortie indemne.

Les avis divergent sur le rendement de l’attaque aérienne iranienne contre Israël, vécue en « live » sur les réseaux sociaux.

A première vue, l’Iran a, effectivement, lamentablement échoué. 99% des 320 drones et missiles, de croisière et balistiques, tirés depuis l’Ouest de l’Iran sur Israël, ont été interceptés.
 
Pour les amateurs des morbides spectacles guerriers, l’absence de destructions visibles en Israël et le zéro mort suite à l’offensive aérienne iranienne débouche sur un verdict catégorique : l’Iran s’est humilié en étalant aux yeux de l’opinion publique internationale l’inefficacité de ses moyens militaires.

Faux-semblants

Cet argumentaire factuel nécessite, néanmoins, un autre degré de lecture des évènements. Ce sur quoi, cependant, tout le monde s’accorde, c’est qu’il s’agissait essentiellement d’un spectacle.

Normalement, l’un des ingrédients du succès d’une opération militaire est le secret qui doit entourer sa mise en œuvre. Or, dans le cas de la frappe iranienne contre Israël, tout le monde était au courant presque des détails de celle-ci.
 
Ce n’est, toutefois, pas une surprise pour les observateurs du conflit en cours au Moyen Orient. Des informations circulaient, depuis quelques jours déjà, à propos de contacts entre Washington et Téhéran, via Ankara, visant à « calibrer » la frappe iranienne sur Israël.

Ni les Etats-Unis, ni l’Iran ne veulent d’une déflagration régionale, objectif premier du gouvernement Netanyahou dans son agression aérienne contre le consulat iranien à Damas, le 1er avril.

Eviter le piège

Le général français, Vincent Desportes, ancien directeur du Centre de doctrine et d'emploi des forces et du Collège interarmées de défense, l’a bien compris et affirmé clairement sur la chaîne publique « LCI », que l’on peut difficilement qualifier d’antisioniste.

« Netanyahu était en train de perdre la guerre avec le Hamas, il avait totalement  perdu le soutien de l'opinion publique internationale. Netanyahu veut la confrontation avec l'Iran. Netanyahu a monté une machination. Nous sommes piégés une nouvelle fois par Netanyahu », a-t-il martelé.

L’Iran a mis l’accent sur son droit à l’autodéfense, suite à l’attaque israélienne contre son consulat, et a inscrit son opération militaire aérienne contre Israël, baptisée « Promesse honnête », sous l’article 51 de la Charte des Nations-Unies.

Il fallait, donc, trouver une issue qui permettrait au régime iranien de sauver la face auprès de son opinion publique et de ses proxys régionaux, sans obliger les Etats-Unis à réagir en déclenchant une guerre ouverte contre l’Iran.

Déluge de drones tous intercéptés

Le déroulement des évènements est fort instructif à ce sujet.

L’Iran a usé d’une tactique déjà éprouvée lors de la guerre d’Ukraine. Tenant compte des différences de vitesse entre ses drones, ses missiles de croisière et ceux, balistiques, l’armée iranienne les a envoyés en trois vagues, de manière à ce qu’ils atteignent Israël en même temps.

L’armée iranienne a commencé par lancer un essaim de 170 drones de différents genres, dont le fameux « Shahed 136 », testé sur le front ukrainien et dont est, d’ailleurs, dérivé le « Géran 2 » russe.

Il s’agit d’une « munition rodeuse », ou drone « kamikaze », d’une portée de quelques 2.000 kms, avec une charge explosive de 50 kgs, volant à basse altitude, ce qui le rend presque invisible pour les radars au sol, et dont le coût ne dépasse pas les 20.000 dollars. Mais c’est également un lourdaud de 200 kgs qui vole à peine à 185 kms/h.

La totalité des drones iraniens ont été interceptés avant même d’atteindre Israël. Le plus intéressant ici est de souligner qui les a abattus.

Le « mur » de défense allié

Il y avait, évidemment, à la manœuvre des chasseurs F15 et F16 israéliens, mais aussi et de manière significative et décisive, des F15 et F16 américains, des F16 jordaniens, des Eurofighter Typhoon britanniques et, selon Paris, des chasseurs français, probablement des Rafales.

Pour ces aéronefs militaires dotés de radars à balayage actif (AESA), détecter des drones volant lentement à basse altitude et les cibler avec des missiles air-air autonomes, c’est-à-dire programmables et disposants de leurs propres radars, d’où l’appellation « Fire and forget », ne pose aucun problème.

Ainsi, l’armée iranienne s’est vue privée du rôle que devaient jouer ses drones dans la saturation du système de défense israélien, pour permettre aux vagues de missiles de croisière et balistiques, qui allaient suivre, de le percer.

Outre le déploiement en Israël de batteries de missiles sol-air américains PAC 3, le dernier né de la famille des MIM 104, les bâtiments de l’Us Navy qui croisent en Méditerranée orientale, dont les défenses contre-aériennes ont abattus des missiles de croisière iraniens en cette nuit du 13 au 14 avril, ont également participé à cette défense multicouche.

Selon des informations non-confirmées, la France y est également allée du mieux qu’elle pouvait pour défendre Israël, mettant à sa disposition le système sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T), le seul en Europe qui soit doté d’une capacité antibalistique.

Que vaut la défense aérienne israélienne ?

Un constat s’impose : les alliés d’Israël ont joué un rôle déterminant dans sa défense contre la frappe iranienne.

De ce constat découle une interrogation : que vaut réellement le seul système de défense contre-aérienne israélien. Aurait-il tenu, sans l’appui des alliés d’Israël, face à l’offensive iranienne, basée sur le principe de la saturation ?

Le système de défense contre-aérienne israélien comporte trois composantes. A courte portée, c’est le fameux « Dôme de fer », de conception israélienne, avec son radar tridimensionnel à balayage électronique ELM-2084 et son missile d’interception Tamir, ainsi que le système Spyder, dans ses deux version SR et MR, qui sont censés protéger Israël.

A moyenne portée, c’est le système de défense contre-aérienne « Fronde de David », qui joue ce rôle, complété par les systèmes de fabrication américaine « Hawk » et « Patriot ». Au-delà commence le champ d’action les missiles Arrow 1, 2 & 3, également guidés par un radar tridimensionnel à balayage EL/M-2080.

« Kheibar »

Toujours est-il que sur les 120 missiles balistiques et la trentaine de missiles de croisière (30, 32 ou même 36, selon les différentes sources), 7 sont passés.

La pièce maîtresse du dispositif d’attaque iranien est le missile balistique « Kheibar », d’une portée de plus de 1.400 kms et porteur d’une charge explosive de 500 kgs, à haute vélocité et capable de manœuvre lors de sa rentrée en atmosphère, ce qui le rend difficile à abattre pour les défenses contre-aériennes.

Si les missiles de croisière peuvent être repérés et abattus par des avions de chasse, les missiles balistiques sont hors de portée de ces derniers, puisqu’une partie de leur trajectoire se déroule en dehors de l’atmosphère terrestre.

Sept missiles Kheibar ont tirés sur Israël, pouvant atteindre leurs cibles en quelques sept minutes. Ce sont sûrement ces derniers qui ont pu déjouer les défenses contre-aériennes multicouches déployées pour défendre Israël.

La base aérienne de Nevatim

Les cibles principales de l’attaque iranienne ont été deux bases aériennes, situées dans le Sud d’Israël, plus exactement dans le désert du Néguev, essentiellement celle de Nevatim, dont sont partis les F35 qui ont bombardé le consulat d’Iran à Damas.

Cette base accueille également des escadrons de chasseurs F15, des avions de transport C130 et des avions ravitailleurs en vol Boeing 707.

D’après l’armée israélienne la base de Nevatim a été touchée par les missiles iraniens, mais avance que les dégâts sont minimes.
Si l’on considère que les drones et les missiles de croisière iraniens tirés sur Israël avaient pour principale mission de saturer les défenses contre-aériennes israéliennes, atteindre la base de Nevatim avec des missiles Kheibar (les différentes sources varient entre un et quatre), représente bien plus que 1% des objectifs que Téhéran s’est fixée.

Il faut, par ailleurs, souligner que les mesures de guerre électronique déployées par Israël et ses alliés se sont avérées non-efficaces contre les missiles iraniens. Cela ne sert strictement à rien de brouiller le signal GPS quand les missiles iraniens peuvent utiliser son équivalent russe, le « Glonass », ou chinois, le « Beidou ».

Low-cost vs High-tech

Sur le plan du coût de l’affrontement irano-israélien de la nuit du 13 au 14 avril, Israël est, de toute évidence, perdante. Pour stopper les 170 drones iraniens, valant entre 4 à 5 millions de dollars, les 120 missiles balistiques, 30 à 50 millions de dollars, et la trentaine de missiles de croisière, 4 à 7 millions de dollars, soit un cumul de 38 à 62 millions de dollars, Israël (ou plus exactement les contribuables occidentaux) a craché plus d’un milliard de dollars.

Combien de « matchs » du genre Israël peut-elle se permettre contre l’Iran ? Et encore faut-il trouver des munitions disponibles, vu que les Etats-Unis et les autres pays occidentaux doivent également en livrer à l’Ukraine, alors que leurs industries militaires ne parviennent déjà pas à atteindre la cadence de production nécessaire pour couvrir les besoins de l’armée ukrainienne.

Même si Israël est prioritaire sur l’Ukraine pour Washington, c’est loin d’être évident en termes de livraison d’armes et de munitions.

Tout porte à croire que l’Iran a, tout autant, cherché à « punir symboliquement » Israël pour l’attaque de son consulat à Damas, qu’à obliger ses alliés à intervenir pour l’aider à se défendre contre la frappe iranienne, mettant de la sorte en évidence sa dépendance envers les Etats-Unis essentiellement.

Les proxys en retrait

Plusieurs observateurs ont remarqué que les proxys de l'Iran au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen n’ont pas participé massivement à l’offensive aérienne iranienne, ce qui laisse penser que Téhéran n’a pas vraiment sorti son grand jeu.

Le seul Hezbollah libanais aurait pu noyer le Nord d’Israël d’un déluge de roquettes et de missiles pour aider à saturer les défenses israéliennes. Il s’est contenté de frapper, de manière tout aussi symbolique, le Golan syrien occupé par Israël, en laçant ses missiles à partir de la Syrie, ce qui représente une première.

Le ministère de la guerre israélien l’a reconnu à demi-mots : « l’attaque iranienne a été l’une des attaques les plus complexes auxquelles le système de défense aérienne a été confronté dans le monde. L’Iran a mené une attaque à un niveau plus élevé que prévu ».

Un avis partagé par l’ancien agent de la CIA, Larry Johnson : « l’Iran a montré aujourd’hui qu’Israël est assez vulnérable ».

Le détroit d’Ormuz

Et pour dissuader les Etats-Unis de soutenir Netanyahou dans une folle aventure militaire contre l’Iran, Téhéran a commencé par envoyer à Washington un message assez subtil. La veille de l’attaque contre Israël, un commando du corps des Gardiens de la révolution s’est emparé, dans le détroit d’Ormuz, d’un porte-conteneur, le MSC Aries, dont l’un des propriétaires est israélien.

Le détroit d’Ormuz voit transiter le quart des exportations mondiales de pétrole. Si les Iraniens venaient à le bloquer, en cas de conflit ouvert avec Israël et les Etats-Unis, les prix du baril vont crever le plafond, ce qui serait « mortel » pour l’actuel occupant d la Maison blanche, déjà malmené dans les sondages, et ce à six mois des élections présidentielles.

Au matin de l’offensive aérienne contre Israël, le représentant de l’Iran auprès des Nations-Unies a estimé que pour Téhéran, après avoir usé de son droit de réagir à l’attaque israélienne du 1er avril de manière « proportionnée », l’affaire était « close ».

L’administration Biden a fait savoir à Netanyahou, dès la journée du 14 avril, que les Etats-Unis n’avaient nulle intention de participer à une frappe punitive aux côtés d’Israël contre l’Iran. Ce qui reviendrait à respecter le « deal » discrètement conclu avec l’Iran, par Turcs interposés.

Partie d’échec moyen-orientale

La légende la plus répandue sur l’origine indienne du jeu d’échecs vient des Perses, ce qui veut dire que c’est l’un des premiers peuples à avoir accordé de l’importance à ce jeu de stratégie.

Quoi que l’on puisse penser du régime des Mollahs, loin d’être un modèle de démocratie ou un paradis des droits humains, s’imaginer que les dirigeants iraniens n’anticipent plusieurs coups à l’avance avant de mouvoir leurs pièces est grotesque.

Sinon, la théocratie iranienne n’aurait pas réussi à se maintenir au pouvoir depuis 35 ans, malgré la montagne de sanctions qui lui ont été infligées.

Israël, qui a appelé à des sanctions onusiennes contre l’Iran, ne compte pas, bien sûr, en rester là. Tel-Aviv est parfaitement consciente que sa capacité de dissuasion a été sérieusement ébranlée et espère bien la rétablir.

Des évènements de la nuit du 13 au 14 avril, Tel-Aviv a déduit que certains pays arabes sunnites détestent tellement l’Iran qu’ils seraient prêts à se liguer avec Israël.

Mais aussi que sans l’appui des Etats-Unis et de ses autres alliés occidentaux, Israël aurait bien du mal à tenir tête à l’Iran et ses proxys au Moyen-Orient.

En conclusion

En définitive, l’Iran est passé pour un pitre pour certains, s’est exposé, en réaction, à des frappes directes israéliennes (Tel-Aviv visant ostensiblement les installations nucléaires iraniennes pourtant éparses et profondément enterrées), mais serait quand même parvenu à marquer des points, du moins du point de vue des Mollahs et leurs affidés dans la région.

Israël affiche un retentissant 99% d’interceptions des engins iraniens, réalisé avec un appui conséquent et déterminant de ses alliés, dont dépend désormais sa défense, mais n’inspire plus la crainte dissuasive à son voisinage, qui a toujours constitué le socle de sa stratégie. Les images des missiles iraniens survolant la Knesset et la mosquée Al Aqsa, à Al Qods resteront à jamais dans les mémoires.

S’il est difficile de désigner un gagnant, il est certain que les deux protagonistes ont beaucoup perdu dans la nuit du 13 au 14 février.




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