Géopolitique mondiale, le temps du « déconstructivisme » et de la « société liquide ».


Le concept de « déconstructivisme » que j’emprunte volontiers au monde de l’architecture pour évoquer la révolution copernicienne à l’œuvre dans la géopolitique mondiale. Le détour par le milieu de l’architecture vaut la peine. Ce concept est incarné dans ce milieu par l’œuvre de Feue Zaha Hadid, cette brillante architecte de génie, qui a marqué de ses œuvres originales et novatrices les grandes capitales mondiales Tokyo, New-York, Berlin, Paris, Rabat.



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Par Taoufiq Boudchiche, économiste et essayiste.

Selon elle, il fallait être capable de sortir du cadre étroit du dessin architectural pour imaginer de nouvelles formes architecturales.
Rabat en est le témoin avec le projet du nouveau musée au cœur de la vallée qui longe le fleuve Bouregreg.

Une œuvre d’art de maître, magistrale, imposante. Un ouvrage inattendu, « déconstructiviste » et décalé mais à la fois si harmonieux, qui imposera un nouveau style au paysage urbain de la vallée du Bouregreg. La Tour Mohammed VI confirme cette tendance urbanistique.
 
Pour revenir à ce concept appliqué à la géopolitique mondiale, la révolution copernicienne en cours nous oblige à sortir des sentiers battus et des canons conceptuels classiques.  Les rapports de puissance du monde bougent poussés par l’improvisation et l’urgence. Des forces opposées rivalisent sur la scène mondiale Russie-Europe-Occident-Chine.

Elles entraînent dans leurs sillages les  aires de voisinage proches et lointaines en Afrique, en Inde, en Asie du Sud Est, dans les Amériques du Sud. Celles-ci s’ajustent de manière tout aussi improvisée dans ce jeu d’échecs planétaires.
 
La Russie s’est embourbée dans un conflit mondial dont elle ne sait plus comment s’en sortir. Ses stratèges, dont Poutine en tête, pataugent dans la fuite en avant.  La Chine est fortement perturbée par les effets de la crise sanitaire et par la crainte de faire l’objet de sanctions occidentales à trop afficher son « amitié infinie » avec les dirigeants russes. Pragmatique, elle soigne une prudence diplomatique attendant son heure pour trancher selon les rapports de  force qui vont émerger.

En face, Les États Unis mettent en œuvre toutes leurs capacités d’influence pour préserver leur statut de première puissance mondiale désormais sérieusement menacée, jusqu’au sein des Nations-Unies. Elle n’a pu rallier à l’unanimité les pays réticents à suivre le bloc occidental dans sa stratégie mondiale « anti-Poutine ».
 
L’Europe, quant à elle, est durablement bousculée par une guerre en son sein. Elle se débat dans un rôle d’équilibriste avec pour seule boussole ses valeurs et son identité post seconde guerre mondiale dont elle s’oblige à repenser les paradigmes. Une identité européenne, sujette à des fortes secousses internes, du fait d’une Allemagne, locomotive européenne, accusée d’avoir rendu le continent dépendant des régimes autoritaires (Russie hier, Chine demain). Une Allemagne, aussi en perte de sens,  qui la joue solo, à l’instar du voyage de son chancelier en Chine, contre le gré de ses partenaires européens, qui souhaitaient un déplacement groupé.  
 
L’Allemagne attise par ailleurs, les suspicions sur ses intentions de démultiplier sa puissance économique, d’une puissance militaire et politique qui remet en question l’ordre européen établi à la sortie de la seconde guerre mondiale. Un ordre fondé sur la coopération pour garantir les conditions de la paix et de la sécurité durables au sein du continent. La guerre Russie-Ukraine a fait désordre.

Parmi les réponses,  à l’initiative du Président Macron,   une  nouvelle entité européenne, mi formelle, mi informelle, a été crée, la communauté politique européenne. Elle a pour objectif d’inclure dans le débat politique européen des pays candidats à l’adhésion comme la Turquie et l’Ukraine, sans se substituer aux instances européennes traditionnelles (Conseil européen).
 
Ailleurs, en Afrique, Inde, Asie du Sud, Amériques du Sud, les gouvernements semblent paralysés par ce jeu d’échecs planétaires. Dans ces parties du monde, on se plaît parfois, selon les cas,  par vulnérabilité, lâcheté, vacuité idéologique,  désir d’émancipation, à se prêter soit au suivisme, soit à l’instrumentalisation au plus offrant.
 
La cartographie mondiale des alliances et contre alliances est en passe de se modifier profondément.

Elle le sera encore plus si la guerre Russie-Ukraine se prolonge sans vainqueur, ni vaincu et si les crises économiques, alimentaires et énergétiques s’exacerbent par des crises sociales, financières, politiques, climatiques…. Une convergence de crises sans précédent qui peut aboutir à une déflagration planétaire. Aucune force régulatrice ne semble faire le poids dans des sociétés  « dérégulées » qui seraient entrées, selon le sociologue Zygmunt Bauman (1925-2017), dans une ère « liquide ».
 
Le « déconstructivisme », mouvement de pensée architectural inauguré par Feue Zaha Hadid, est en action mettant au défi nos visions du monde à appréhender le puzzle mouvant des stratégies qui s’affrontent. Il est à craindre un repli sur soi tant les préoccupations internes prennent le pas sur la coopération et l’entente mutuelle.

Cela,  alors que les menaces de « l’anthropocène » pèsent sur l’avenir de l’humanité par les effets irréversibles du changement climatique désormais actés scientifiquement et largement admis politiquement et socialement.
 
 
 


Dimanche 30 Octobre 2022

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