IA entre puissance et contraintes : la bataille invisible des talents et de la société


La révolution de l’intelligence artificielle ne se joue pas seulement sur les marchés financiers ni dans la rivalité États-Unis–Chine pour les semi-conducteurs. Elle est freinée par deux forces plus discrètes mais déterminantes : la rareté des talents humains et l’acceptabilité sociale. Entre guerre des cerveaux, pressions éthiques et régulations, l’IA avance à la vitesse que lui impose la société, pas seulement la technologie.



Par Hicham EL AADNANI Consultant en intelligence stratégique

Je pense que pour comprendre la dynamique actuelle de l'IA, il est impératif de superposer une grille de lecture géopolitique à cette analyse purement financière. Mon article que j’ai partagé avec vous hier sur la guerre des semi-conducteurs entre les États-Unis et la Chine illustre d'ailleurs parfaitement mon propos : les actions des États sont un facteur au moins aussi déterminant que les forces du marché. Je vois dans la course à la souveraineté technologique une logique de puissance qui pousse les nations à des investissements massifs, défiant les simples calculs de rentabilité.

Cependant, je crois que même cette analyse géopolitique reste incomplète si l'on omet une double contrainte plus organique, plus interne au système lui-même : la rareté du talent humain et le poids croissant de l'acceptabilité sociale. Pour moi, ces deux facteurs sont intrinsèquement liés et forment une boucle de rétroaction qui régule le rythme et la direction réels de l'innovation.

À mon sens, le premier goulet d'étranglement aujourd'hui n'est ni le capital, ni la volonté politique, mais bien la compétence humaine. Le nombre d'ingénieurs et de chercheurs d'élite est infime, ce qui crée une "guerre des talents" concentrant un pouvoir immense entre les mains d'un groupe restreint. C'est ici que je vois le lien naturel avec la dimension sociale : une technologie conçue par une élite si homogène porte en elle un risque systémique de reproduire des biais à grande échelle.

Lorsque ces systèmes d'IA sont déployés, je constate que ces biais peuvent générer des injustices, ce qui nourrit une méfiance publique qui se transforme inévitablement en pression politique. En réaction, les régulateurs imposent des garde-fous (éthique, transparence), comme l'IA Act européen. La trajectoire de l'IA me semble donc doublement bridée : sa vitesse est limitée par la disponibilité des talents, et sa direction est orientée par la nécessité de répondre aux exigences éthiques de la société.

Pour affiner ceci quelques questions aux quelle nous devons répondre : 

Sur la géographie des talents : Cette concentration ne crée-t-elle pas des asymétries géopolitiques durables ? Notre pays peut-il développer une masse critique ou doit-il accepter une dépendance structurelle ?
Sur l'acceptabilité sociale : Les sociétés non-occidentales ont-elles les mêmes réticences ? L'acceptabilité sociale de l'IA au Maroc suit-elle les mêmes logiques qu'en Europe ou aux au USA ?
Sur la régulation : N'y a-t-il pas un risque que les pays les plus régulateurs perdent la course technologique au profit de juridictions plus permissives ?


Samedi 20 Septembre 2025

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