IA et évaluation : regards croisés entre le Maroc et la France – de la note à l’émulation


Rédigé par le Mercredi 10 Septembre 2025



Par Dr Az-Eddine Bennani

Dans un dossier publié par La Montagne le 7 septembre 2023, intitulé « IA : la révolution des évaluations », le journaliste Nicolas Person rapporte les propos de mon cher collègue Alain Goudey, directeur du numérique à NEOMA Business School :

« Si ChatGPT sait faire l’examen, il faut changer l’examen. »

Cette affirmation, citée dans un encadré de l’article, résume parfaitement le bouleversement que provoque l’irruption de ChatGPT et des intelligences artificielles génératives dans le monde éducatif. Si une machine peut rédiger une dissertation ou un mémoire, alors l’évaluation doit être repensée en profondeur pour retrouver sa raison d’être.

L’émergence d’un bouleversement
Plus de 60 % des jeunes de 18 à 21 ans reconnaissent déjà utiliser ChatGPT pour leurs devoirs. Résultat : dissertations, mémoires et autres travaux écrits perdent une partie de leur valeur pédagogique, puisque la machine est capable de produire des textes corrects en quelques secondes.

Un défi pour les enseignants
Cette évolution ne signifie pas que l’apprentissage disparaît, mais elle oblige les enseignants à repenser leurs méthodes. Comment vérifier que l’élève comprend, analyse et construit sa pensée, plutôt que de recopier un texte généré par une IA ?

Pour moi, évaluer les étudiants revient à s’assurer qu’ils ont compris et assimilé notre enseignement. Ils doivent être capables de traduire à leur manière les connaissances transmises et de montrer qu’ils savent les mettre en pratique sous forme de compétences concrètes et opérationnelles. C’est à cette condition que l’évaluation garde tout son sens et sa légitimité.

Le regard de mon cher collègue Alain Goudey
À NEOMA Business School, près de la moitié des étudiants avouent déjà utiliser ChatGPT, et plus de 60 % des enseignants estiment que l’IA transforme leur manière de travailler. Face à cela, Alain plaide pour une transformation profonde : moins de restitution écrite, plus d’oral, de créativité, de travail collaboratif et de pensée critique.

L’héritage d’Albert Jacquard
Feu Albert Jacquard – que la paix soit sur son âme – avait déjà pressenti cette impasse de l’évaluation traditionnelle. Dans son texte « Moi, ministre de l’Éducation… », il affirmait :
« Apprécier une copie, ou pire encore une intelligence avec un nombre, c’est unidimensionnaliser les capacités des élèves. L’évaluation notée doit être remplacée par l’émulation. »

Il refusait que l’école soit le lieu de la compétition et du classement, plaidant au contraire pour une évaluation formatrice, tournée vers le progrès collectif et la rencontre avec l’autre.

Ma vision pour l’évaluation à l’ère de l’IA
Dans mes travaux sur l’intelligence artificielle et l’éducation au Maroc, j’insiste sur une lecture systémique de l’évaluation :

- Elle doit être formatrice et non punitive, orientée vers la progression de l’étudiant plutôt que vers le classement.
- Elle doit être contextualisée, en intégrant les réalités locales, les langues et les valeurs culturelles.
- Elle doit être pluridimensionnelle, mêlant savoirs académiques, compétences pratiques et aptitudes relationnelles.
- Elle doit être ouverte à l’IA, non comme un substitut mais comme un outil d’appropriation et d’enrichissement.

Vers une souveraineté cognitive
Le Maroc et la France, tout comme d’autres pays, doivent saisir cette opportunité pour inventer un modèle d’évaluation qui conjugue oralité, collaboration, créativité et souveraineté cognitive. Plutôt que de copier des systèmes compétitifs et sélectifs, nous pouvons construire des évaluations qui libèrent les intelligences, en intégrant l’IA comme partenaire et non comme menace.

​Sources :

- Nicolas Person, « IA : la révolution des évaluations », La Montagne, 7 septembre 2023, p. 26.
- Albert Jacquard, Moi, ministre de l’Éducation…, extraits (2006).




Mercredi 10 Septembre 2025
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