IA et politique : le moment de vérité démocratique

Une lecture critique ancrée dans mes travaux


Par Dr Az-Eddine Bennani

La publication de l’article « IA et politique : le moment de vérité démocratique » intervient dans un contexte où l’intelligence artificielle est de plus en plus présentée comme une force autonome susceptible de transformer, voire de menacer, les processus démocratiques. Cette interrogation est légitime.

Elle rejoint des préoccupations que je développe depuis plus de trente ans dans mes travaux sur le numérique, les systèmes d’information, la gouvernance et, plus récemment, l’intelligence artificielle.

Mais pour être politiquement utile, ce débat doit être clarifié, désidéalisé et replacé dans un cadre conceptuel rigoureux.



​Sortir de la fiction de l’IA comme acteur politique

Dans l’ensemble de mes écrits, du Phénomène numérique à mes travaux récents sur l’IA, je défends une thèse constante : l’intelligence artificielle n’est jamais un acteur politique autonome.

Elle est un artefact socio-technique, conçu, entraîné et déployé par des acteurs humains, économiques et institutionnels. En la présentant comme un sujet politique, on déplace le regard et l’on efface les véritables lieux du pouvoir : la maîtrise des données, des infrastructures et des algorithmes.

Ce déplacement du débat est dangereux, car il contribue à une dilution de la responsabilité politique.

​Une critique épistémologique : contre l’illusion de neutralité algorithmique

Mes travaux s’inscrivent dans une épistémologie constructiviste et systémique. J’y montre que les technologies ne sont jamais neutres : elles traduisent des choix, des valeurs et des rapports de force.

L’IA ne décide pas ; elle exécute des modèles construits à partir de données situées. Le véritable risque démocratique n’est donc pas algorithmique, mais épistémologique : accepter que des dispositifs techniques se substituent à la délibération humaine au nom d’une prétendue objectivité.

​Le Maroc face à la question de la souveraineté informationnelle

Appliquée au Maroc, cette question prend une dimension particulière. Une grande partie des infrastructures numériques, des plateformes d’information et des systèmes algorithmiques utilisés dans l’espace public sont conçus et opérés hors du territoire national.

Les données produites par les citoyennes et citoyens marocains sont captées, traitées et valorisées ailleurs. Dans ces conditions, parler de démocratie algorithmique sans poser la question de la souveraineté informationnelle relève d’une illusion.

Une démocratie qui ne maîtrise pas ses données ne maîtrise plus pleinement son débat public.

​Gouverner l’IA : la nécessité de l’alignement stratégique

Dans la continuité de mes travaux sur l’alignement stratégique des systèmes d’information, je soutiens que la gouvernance de l’IA suppose une cohérence entre les finalités politiques, les infrastructures numériques, les cadres institutionnels et la culture citoyenne.

Réguler sans maîtriser les architectures techniques et les flux de données conduit à une régulation de façade.

Gouverner l’IA, ce n’est pas seulement produire des textes, c’est organiser un système cohérent de responsabilités.

​Tracer une ligne rouge démocratique

Une constante traverse l’ensemble de mes écrits : la démocratie ne sera ni sauvée ni détruite par l’IA en tant que technologie. Elle le sera par la capacité des sociétés à en assumer la gouvernance.

Une démocratie qui délègue ses fonctions cognitives, informationnelles et décisionnelles à des systèmes qu’elle ne gouverne pas renonce progressivement à sa souveraineté.

Le choix est clair : soit l’IA est intégrée dans un cadre politique assumé, souverain et transparent, soit elle devient un instrument silencieux de dépolitisation. Ne pas gouverner l’IA, c’est déjà accepter d’être gouverné par elle.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Lundi 29 Décembre 2025

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