Intelligence artificielle et maladie de Charcot : une stratégie marocaine d’augmentation humaine




Par Dr Az-Eddine Bennani

La sclérose latérale amyotrophique (SLA), plus connue sous le nom de maladie de Charcot, demeure l'une des maladies neurodégénératives les plus redoutables. Affectant les neurones moteurs responsables du mouvement volontaire, elle entraîne progressivement une paralysie des muscles, jusqu’à priver la personne de toute autonomie physique, tout en laissant souvent intactes ses capacités cognitives. Au Maroc, comme dans de nombreux pays du Sud, la prise en charge de cette maladie est rendue encore plus difficile par l’absence d’infrastructures spécialisées, le coût des traitements et le manque de dispositifs technologiques adaptés.

Dans ce contexte, l’intelligence artificielle (IA) peut offrir un espoir tangible pour améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles. Loin de remplacer l’humain, elle peut l’augmenter — physiquement et cognitivement — en redonnant à la personne atteinte de la SLA une part de sa dignité, de sa voix et de son autonomie.

Parmi les premiers apports de l’IA figure la communication augmentée. Plusieurs systèmes d’IA permettent aujourd’hui aux patients atteints de la SLA de communiquer par le regard, grâce à des interfaces visuelles à commande oculaire couplées à des prédicteurs de mots intelligents. Des solutions comme EyeControl, Tobii Dynavox ou les projets Euphonia (Google) et Project Relate ont permis à des patients de continuer à s’exprimer, même à un stade avancé.

Dans le contexte marocain, l’adaptation de ces outils nécessite : des partenariats avec des centres de recherche locaux pour développer des modèles en darija et en amazigh ; la subvention publique ou mutualiste de dispositifs d’eye-tracking et de synthèse vocale ; la formation des soignants et proches aidants à l’usage de ces interfaces.

Les interfaces cerveau-machine (BCI – Brain-Computer Interface) représentent une voie prometteuse. En traduisant l’activité électrique cérébrale en commandes numériques, elles permettent à une personne paralysée de contrôler un curseur, un bras robotisé ou même un fauteuil roulant. Certes, ces technologies sont encore coûteuses, mais les plateformes open source et les avancées dans les réseaux neuronaux artificiels permettent déjà d’envisager leur adaptation au Maroc, notamment via des coopérations universitaires internationales ; la mobilisation de clusters IA marocains, comme MedinIA, pour concevoir des solutions accessibles ; l’implication des écoles d’ingénieurs marocaines dans des projets d’IA sociale et médicale.

Les patients SLA au Maroc vivent majoritairement au domicile familial, dans un environnement peu médicalisé. L’IA permet ici d’activer à distance des équipements : lumières, volets, télévision, téléphone, alarmes, etc. Une domotique augmentée par IA, associée à la reconnaissance vocale ou au contrôle visuel, pourrait être déployée progressivement, avec des modules simples et à bas coût. L’usage du cloud marocain souverain peut garantir la sécurité des données personnelles et favoriser l’appropriation locale.

L’isolement psychologique est l’un des effets collatéraux majeurs de la SLA. L’IA peut intervenir à ce niveau par des agents conversationnels empathiques, capables de répondre, de divertir, de rassurer ; des jeux cognitifs personnalisés pour stimuler la mémoire, la logique ou l’attention ; des plateformes marocaines de téléconsultation psychologique augmentée. Un prototype pourrait être conçu avec des psychologues marocains, intégrant nos références culturelles, nos expressions émotionnelles, et nos rituels de vie.

Prenons l’exemple d’un patient vivant dans une médina, atteint d’une SLA modérément avancée. Grâce à une collaboration entre un centre hospitalier universitaire, une startup d’IA marocaine, une association de patients et une collectivité territoriale, un écosystème d’accompagnement a été mis en place selon une approche systémique, telle que développée dans mon livre L’intelligence artificielle au Maroc – Souveraineté, inclusion et transformation systémique.

Ce dispositif repose sur : une analyse globale et contextualisée des besoins (physiques, cognitifs, émotionnels, sociaux, familiaux) ; une solution technologique intégrée, adaptative et co-construite : interface visuelle pour la communication, contrôle oculaire de l’environnement, alertes IA pour les aidants ; une formation continue des proches et un appui numérique pour qu’ils s’approprient les outils ; une gouvernance de proximité, basée sur la coordination des acteurs de terrain, l’usage du cloud souverain, et le respect des cultures locales.

Ce cas démontre que ce n’est pas la technologie seule qui transforme la vie d’un patient, mais bien l’intelligence collective d’un système coordonné, où l’IA agit comme facilitateur d’interactions humaines et de dignité retrouvée.

À partir de cette réflexion, une recommandation nationale s’impose : Créer un Pôle national IA–Santé Rare, centré sur la SLA et les maladies neuroévolutives, réunissant cliniciens, ingénieurs, aidants, patients, chercheurs et décideurs publics.

Ce pôle viserait à : développer des solutions technologiques open source, multilingues et accessibles ; mettre en place une plateforme de co-apprentissage pour les familles, intégrant tutoriels, médiation culturelle et soutien psychologique ; créer un fonds de soutien solidaire pour financer des équipements IA pour les malades en situation de précarité ; appliquer une gouvernance systémique, telle que définie dans L’intelligence artificielle au Maroc, pour garantir justice sociale, souveraineté et éthique.

L’intelligence artificielle ne guérit pas la SLA. Mais elle peut redonner la parole, prolonger le lien social, restaurer une forme d’autonomie et alléger la détresse des familles. Si elle est pensée dans une approche systémique, enracinée dans les réalités culturelles, sociales et éthiques du pays, alors elle devient une technologie du soin, de la vie, et de la solidarité. C’est cette voie que le Maroc peut tracer : celle d’une IA souveraine, humaine, et profondément solidaire.

Mardi 9 Septembre 2025



Rédigé par La rédaction le Mardi 9 Septembre 2025
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