L’anesthésie émotionnelle à l’ère de ChatGPT : quand nos émotions passent en mode automatique


Il suffit d’ouvrir une conversation avec ChatGPT pour se sentir écouté. Les phrases sont polies, les réponses calmes, toujours réfléchies. Pas de hausse de ton, pas de jugement, pas de soupir. Une neutralité parfaite. Et c’est peut-être là que tout commence : dans ce confort artificiel où l’émotion n’existe plus vraiment, remplacée par une imitation maîtrisée de l’empathie.

Depuis quelque temps, un nouveau phénomène s’installe discrètement : celui de l’anesthésie émotionnelle assistée par intelligence artificielle. À force de confier nos doutes, nos colères ou nos tristesses à une machine qui ne ressent rien, on finit par adoucir nos émotions jusqu’à les rendre presque inoffensives. Le dialogue devient si lisse qu’il efface peu à peu les rugosités du vivant.



Le confort d’un interlocuteur sans aspérités

Il faut reconnaître que l’IA a quelque chose d’apaisant. Elle ne juge pas, ne coupe pas la parole, ne se fatigue pas. On peut lui parler à minuit, poser cent fois la même question, chercher du réconfort dans sa logique. Elle est toujours là, disponible, stable.
 

Mais cette stabilité parfaite crée un effet secondaire : elle habille nos émotions d’un calme artificiel.
Là où une discussion humaine provoque, bouscule, ou fait réfléchir autrement, le dialogue avec ChatGPT tend à arrondir les angles. Tout devient raisonnable, modéré, apaisé. L’émotion brute, elle, se dilue dans le texte. Et cette dilution, imperceptible au début, finit par devenir un mode de fonctionnement.


Beaucoup s’en rendent compte après coup : à force de chercher des réponses “objectives”, on gèle son propre ressenti. On commence à douter de ses intuitions, à attendre que la machine valide ce que l’on ressent. Comme si nos émotions avaient besoin d’une autorisation pour exister.


La rationalisation du ressenti

Le propre d’un outil comme ChatGPT est de ramener toute question à une forme de logique. Même les émotions y passent : tristesse, jalousie, colère, tout peut être expliqué, contextualisé, reformulé. Et pourtant, à force d’être traduites en mots sages, les émotions perdent leur intensité. Elles deviennent des concepts.

Cette mise à distance émotionnelle est confortable : on comprend mieux, on souffre moins. Mais on perd quelque chose d’essentiel — la chaleur du ressenti, cette part d’irrationnel qui fait de nous des êtres sensibles. Peu à peu, on s’habitue à ne plus ressentir trop fort, à ne plus s’emporter, à ne plus douter. L’IA devient une sorte de calmant numérique, une présence douce qui neutralise les excès du cœur.

C’est une anesthésie légère, presque invisible. Elle ne coupe pas la douleur d’un coup, mais la rend supportable. On croit aller mieux, alors qu’on ne fait que désactiver le volume des émotions.


Quand la clarté devient un piège

Ce qui rend ChatGPT si efficace, c’est sa capacité à organiser le chaos. Il clarifie, structure, reformule. Mais dans cette clarté permanente, le flou humain n’a plus sa place. Or, nos émotions vivent justement dans ce flou. Elles ne se résument pas à des réponses rationnelles, ni à des “il faut” et “tu devrais”.
 

À force d’habiter cet espace parfaitement cohérent, on risque d’oublier que la vie émotionnelle n’a rien de logique. Elle déborde, elle se contredit, elle fait mal et guérit dans le désordre. C’est ce désordre qui nous rend vivants. Confier trop de place à une IA, c’est parfois remplacer la complexité du ressenti par la perfection du raisonnement. Et dans ce transfert, c’est une partie de notre sensibilité qui s’endort.


Réapprendre à ressentir

Le danger n’est pas dans l’outil, mais dans la manière dont on s’y abandonne. ChatGPT peut aider, éclairer, accompagner. Il ne doit pas remplacer la confusion naturelle de l’être humain. Il faut réapprendre à laisser de la place au désordre émotionnel, à l’imperfection, à la contradiction. Oser dire “je ne sais pas”, “je suis perdu”, “je suis triste”, sans chercher immédiatement une réponse logique.
 

Parce qu’au fond, c’est dans ces moments d’incertitude que la conscience grandit. L’émotion n’est pas un bug qu’il faut corriger, c’est une donnée vivante qu’il faut écouter.
Et peut-être qu’à l’heure des conversations artificielles, la vraie résistance consiste simplement à redevenir humains, c’est-à-dire à ressentir sans filtre, sans optimisation, sans mode automatique.


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Mardi 7 Octobre 2025



Rédigé par Salma Chmanti Houari le Mardi 7 Octobre 2025
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