L’éthique, de Spinoza à l’intelligence artificielle




Par Dr Az-Eddine Bennani

L’éthique est au cœur des préoccupations humaines depuis toujours. Elle n’est pas un simple ensemble de règles ou de principes, mais une manière d’interroger nos actions et leurs conséquences. À l’heure où l’intelligence artificielle (IA) transforme nos sociétés, il devient essentiel de revenir à des fondements philosophiques comme ceux de Spinoza pour éclairer les enjeux contemporains, en particulier dans un domaine aussi sensible que la médecine.

L’éthique selon Spinoza

Dans son œuvre majeure L’Éthique (1677), Baruch Spinoza propose une vision radicalement rationnelle. Pour lui, tout ce qui existe est soumis à la nécessité de la nature. L’homme n’est pas libre au sens traditionnel du terme : il croit choisir, mais ses actions sont déterminées par des causes qu’il ignore. La véritable liberté consiste non pas à échapper à ces déterminismes, mais à les comprendre.

Spinoza introduit le concept de conatus : chaque être tend à persévérer dans son être. Les affects — désirs, joies, tristesses — traduisent cette puissance d’agir. Mais l’homme est souvent « esclave » de ses passions, dominé par ce qu’il ne comprend pas. L’éthique consiste alors à transformer ces passions en actions rationnelles, à remplacer la servitude par la lucidité. C’est là que réside la liberté : dans la connaissance et l’action éclairée.

L’éthique à l’ère de l’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle est, à bien des égards, un miroir de cette tension entre puissance et servitude. Outil de calcul et de prédiction, elle n’a pas de conscience morale. Pourtant, son impact est tel qu’elle soulève des dilemmes éthiques majeurs :
- Respect de la vie privée et protection des données,
- Transparence et explicabilité des algorithmes,
- Équité et non-discrimination, face aux biais des données,
- Responsabilité des concepteurs et des utilisateurs,
- Souveraineté numérique, dans un contexte de dépendance aux grandes plateformes.

À l’image de Spinoza qui distinguait passions tristes et actions actives, l’IA peut renforcer les servitudes (contrôle, manipulation, inégalités), ou au contraire devenir un outil de libération (accès à la connaissance, amélioration des services publics, médecine personnalisée). Tout dépend du cadre éthique et politique qui oriente son usage.

L’éthique et l’IA en médecine

La médecine est sans doute le terrain où l’IA met le plus en lumière la nécessité d’un encadrement éthique. Les algorithmes d’imagerie médicale, de détection précoce des maladies ou de personnalisation des traitements promettent des avancées considérables. Mais ils ne peuvent remplacer le jugement clinique, l’expérience ni l’empathie du médecin.

Le risque est double :

1. Survaloriser la machine au détriment du praticien, comme si l’IA pouvait « diagnostiquer » par elle-même, alors qu’elle ne fait qu’analyser des corrélations statistiques.
2. Déresponsabiliser le médecin, en transformant l’IA en autorité ultime, ce qui serait contraire à la déontologie médicale fondée sur la responsabilité humaine.

L’éthique médicale, héritière du serment d’Hippocrate, rappelle que la finalité du soin est l’humain, et que toute technologie doit être subordonnée à cette mission. L’IA doit être conçue comme un outil d’aide et non comme un substitut au discernement humain.

Conclusion

De l’analyse des passions chez Spinoza aux dilemmes de l’IA en médecine, un fil conducteur se dessine : l’éthique comme quête de lucidité et de responsabilité. Comprendre les causes pour mieux agir, orienter la puissance pour servir la dignité humaine, voilà ce qui relie la philosophie du XVIIe siècle aux défis technologiques du XXIe.

L’intelligence artificielle n’abolit pas la question éthique ; elle la rend plus urgente. Elle ne nous dispense pas de penser : elle nous oblige à le faire avec encore plus de rigueur, pour que le progrès technique reste au service de l’homme et non l’inverse.


Mardi 9 Septembre 2025

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