L’illusion du « retour à la normale » : quand la macro raconte et que le panier corrige


Rédigé par le Mercredi 8 Octobre 2025

La conférence monétaire livre une photographie rassurante : inflation en décélération, dette « sous contrôle », emploi qui respire hors agriculture, prix de l’énergie en reflux graduel. Le récit est cohérent, le ton mesuré, la trajectoire raisonnable.



Inflation en baisse, panier en haut : l’équation qui fâche..

Pourtant, dans les cuisines et les souks, la sensation dominante n’est pas la détente, c’est la fatigue du haut plateau : les prix ne s’envolent plus, mais ils restent haut perchés. Or la vie ne se paye pas en taux, elle se paye en dirhams.

Reprenons. Annoncer une inflation autour de 1,1 % en 2025 puis 1,8 % en 2026 n’équivaut pas à baisser la facture ; cela signifie ralentir la hausse. C’est déjà une bonne nouvelle — la prévisibilité revient — mais ce n’est pas la même chose que de retrouver le niveau d’avant-crises. Pour que le ressenti suive, il faut que les revenus remontent vers ce nouveau palier : salaires, bourses, pensions, minima. Sans mécanismes d’ajustement, la « normalisation » reste macro-économique ; au foyer, elle est hors champ.

Sur l’énergie, même subtilité. La détente attendue du pétrole allège le pipeline des coûts (carburants, électricité, transport de marchandises). Mais la transmission vers les étiquettes est ni automatique ni instantanée. Elle dépend des contrats, de la concurrence réelle, de la fiscalité et du zèle des contrôles. Traduction : annoncer des cours plus sages, c’est le début ; garantir le pass-through jusqu’au panier, c’est le test. Le suivi public des marges par filière — carburants, logistique, distribution — demeure le chaînon manquant de notre conversation économique.

Côté production, le pays continue de s’arracher à la tyrannie du ciel. La diversification hors agriculture — services, industrie, construction — amortit le choc des sécheresses. Mais une économie qui se rééquilibre ne devient pas mécaniquement inclusive. Les emplois créés n’absorbent pas toujours ceux perdus : lieux, compétences, temporalités ne coïncident pas. Les filières gagnantes (automobile, tourisme, BTP) réclament des profils que la sortie agricole n’offre pas spontanément. D’où l’urgence d’un pont massif : formation rapide, apprentissage rémunéré, mobilité géographique soutenue. Sans cela, la moyenne s’améliore tandis que des territoires décrochent.

La dette, ensuite. Que le ratio s’aplanisse, puis reflue vers 65 % d’ici 2026, c’est le signe d’une gestion prudente. Que la part en devises externes reste contenue, c’est rassurant pour la souveraineté financière. Mais n’idéalisons pas : une dette « soutenable » n’est vertueuse que si l’investissement public livre. Les kilomètres inaugurés ne valent que par les minutes gagnées, les lits ouverts, l’eau sécurisée, les classes au calme. Autrement dit : la dette ne se juge pas seulement au numérateur (encours), mais à la qualité du dénominateur (croissance productive, services rendus). Là se joue la confiance.

La macro sourit, le foyer hésite : pour un contrat d’ajustement

Reste la balance sociale, variable politique par excellence. Quand les transferts des Marocains du monde mollissent sous l’effet de l’inflation globale, que le panier reste lourd et que l’agriculture peine, le ressenti collectif devient friable. On peut afficher un chemin « maîtrisé », mais le pays réel demande un contrat d’ajustement : qu’est-ce qui bouge, quand, pour qui, et comment on mesure ? Ce contrat n’a rien d’idéologique. Il est opérationnel.

D’abord, l’indexation partielle et ciblée. Plutôt qu’un geste uniforme, il faut rehausser — de façon temporaire et conditionnée — les revenus exposés à l’inflation alimentaire et énergétique : SMIG, petites retraites, bourses étudiantes, aides au transport. Conditionnée à quoi ? À la présence, à la recherche active d’emploi, à la formation certifiante. C’est plus fastidieux qu’un slogan, mais plus juste et plus efficace.

Ensuite, la transparence des prix et des marges. Publier mensuellement, en données ouvertes, les coûts, marges et délais de paiement sur quatre chaînes critiques (carburants, transport routier, distribution alimentaire, matériaux de construction). Ce tableau de bord ne punit pas ; il éclaire et discipline. Le marché aime la lumière, la concurrence aussi.

Enfin, l’investissement-résultat. L’heure n’est plus au kilomètre de bitume, mais au service délivré : eau en continu, lits fonctionnels (avec maintenance), classes désengorgées, délais administratifs en recul. Passer du reporting de dépenses au reporting d’effets. Oui, cela suppose des systèmes d’information, des audits impopulaires et des arbitrages. Mais c’est la différence entre gouverner et espérer.

Le message de la banque centrale a le mérite de la cohérence : l’économie a repris son souffle, l’inflation recule, l’horizon se dégage. Pour transformer cette photographie en vécu, il manque la légende : qui prend quoi sur ses marges, qui revoit ses prix, qui rehausse ses barèmes, qui accélère la maintenance, qui paie à temps les fournisseurs, qui publie les retards, qui s’engage sur des délais. La technique prépare le terrain ; la politique tranche.

Un pays ne se tient pas à coup de graphiques ; il se tient par des gestes qui retissent la confiance. Le cycle à venir peut être un moment d’accalmie utile. À condition de l’habiter : par des preuves, des échéances, des lignes qui bougent. Sinon, la macro restera une salle climatisée — et dehors, on continuera d’étouffer.

inflation, pouvoir d’achat, pass-through, dette publique, externalité devise, diversification, emploi non-agricole, apprentissage, données ouvertes, services publics, confiance économique





Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls… En savoir plus sur cet auteur
Mercredi 8 Octobre 2025
Dans la même rubrique :