La BCE invite les Européens à garder du cash chez eux

Précaution salutaire ou signal d’alerte ?


Rédigé par La rédaction le Jeudi 25 Septembre 2025

Dans une note qui fait déjà grincer des dents, la Banque centrale européenne (BCE) recommande aux citoyens de conserver chez eux une réserve d’argent liquide suffisante pour couvrir trois jours de dépenses essentielles. Une suggestion surprenante, presque paradoxale, à l’heure où l’Europe pousse à marche forcée vers le tout-numérique. Faut-il y voir une simple mesure de prudence ou le signe inquiétant d’une fragilité systémique ?



​Un message qui sonne comme un paradoxe

La BCE a publié une étude au titre rassurant – « Gardez votre calme et conservez de l’argent liquide » – mais au contenu qui réveille bien des inquiétudes. Le texte recommande à chaque citoyen européen de garder de côté, chez lui, une somme en espèces équivalente à trois jours de besoins essentiels. Certains pays comme les Pays-Bas, l’Autriche ou la Finlande conseillent déjà des montants précis : entre 70 et 100 euros par personne.

Derrière cette apparente banalité se cache une rupture avec la tendance mondiale. Partout, les transactions digitales gagnent du terrain, les banques ferment des guichets, les jeunes générations paient avec leur smartphone. Et soudain, l’institution monétaire la plus puissante d’Europe rappelle à tous : le cash reste un filet de sécurité.

Pourquoi une telle recommandation aujourd’hui ? La BCE s’appuie sur quatre épisodes marquants des crises récentes

La pandémie de Covid-19 : dès 2020, la demande de billets a bondi de plus de 140 milliards d’euros, contre 55 milliards lors d’une année normale.

La guerre en Ukraine : dans les pays voisins, l’émission de billets a grimpé de 36 %.

La panne géante en Espagne (avril 2025) : dès le lendemain du retour du réseau, les distributeurs ont été pris d’assaut, preuve que la confiance vacille vite.

La crise grecque : avec ses retraits massifs lors des tensions financières, elle a servi de laboratoire grandeur nature de la peur bancaire.

Chaque fois, le réflexe a été le même : courir au distributeur. L’argent liquide, malgré toutes les promesses du numérique, rassure par sa matérialité.

​Le cash, une valeur psychologique autant qu’économique

Les auteurs de l’étude, Francesca Faella et Alejandro Zamora-Pérez, insistent : le cash ne sert pas qu’à payer. Il offre une utilité psychologique. Sa simple présence dans un portefeuille ou dans un tiroir procure un sentiment de contrôle, de sécurité. Dans les moments où tout vacille – pandémie, guerre, panne électrique – ce bout de papier tangible devient un ancrage.

Cette dimension est d’autant plus cruciale que les systèmes numériques, si performants soient-ils, ne sont pas infaillibles. Une panne d’internet, une cyberattaque, ou une coupure électrique prolongée suffisent à bloquer cartes bancaires et applications mobiles. Le cash, lui, fonctionne hors ligne.

​Une alerte déguisée ?

La recommandation de la BCE peut se lire comme un appel à la responsabilité individuelle. Mais elle soulève aussi une question troublante : si la BCE insiste autant, n’est-ce pas qu’elle redoute de nouvelles secousses majeures ? L’Europe, depuis 2008, vit dans une succession de crises : financières, sanitaires, géopolitiques, énergétiques. L’injonction à stocker du liquide pourrait refléter la conscience aiguë de cette fragilité structurelle.

Certains observateurs parlent déjà d’un « signal d’alarme implicite » : une manière élégante de dire aux citoyens que la stabilité, si souvent vantée, reste précaire.

​Les risques d’un retour massif au cash

D'un autre côté, plusieurs économistes préviennent : encourager les ménages à thésauriser pourrait fragiliser la circulation monétaire. Si trop de liquidités dorment dans les tiroirs, elles échappent aux circuits bancaires et donc au financement de l’économie. À grande échelle, cela peut créer des tensions sur le crédit.

Sans parler des risques très concrets : vols, pertes, et inégalités sociales. Car une famille peut difficilement stocker « trois jours de dépenses essentielles » si elle peine déjà à boucler ses fins de mois.

​Et pour le Maroc ?

Même si le message s’adresse d’abord aux Européens, il ne peut laisser indifférents les Marocains. Notre pays a connu lui aussi des épisodes de panique bancaire localisée, même si de moindre ampleur. La pandémie a rappelé l’importance de disposer d’un minimum de cash quand les services digitaux saturent.

Mais à l’inverse, le Maroc pousse fortement à la digitalisation des paiements. Cartes bancaires, applications mobiles et fintech se multiplient. La question est donc : devons-nous, comme les Européens, garder un matelas d’espèces à la maison ? Ou risquons-nous d’entraver cette modernisation si nécessaire ?

La vérité se situe peut-être entre les deux. Il est raisonnable d’avoir chez soi une petite réserve d’urgence, pour ne pas être pris au dépourvu. Mais il serait dangereux de tourner le dos à la transition numérique. Le Maroc doit poursuivre la construction d’un écosystème de paiement moderne, inclusif et fiable, tout en gardant à l’esprit qu’aucune technologie n’est invulnérable.

Comme souvent en économie, il ne s’agit pas de choisir un camp, mais d’équilibrer. Le numérique apporte fluidité et transparence ; le cash rassure et protège en cas de rupture.

​La BCE a lancé un pavé dans la mare en rappelant cette évidence : l’argent liquide n’est pas mort.

Son rôle dépasse la simple transaction, il touche à la confiance collective et à la sécurité individuelle. Pour les Marocains, cette note européenne résonne comme un avertissement à la fois lointain et familier : dans un monde où tout peut basculer, mieux vaut diversifier ses moyens de paiement, entre modernité et précaution.

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Jeudi 25 Septembre 2025
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